Il a toujours la flamme. La passion du football. Mais parfois, il bouillonne. Le système actuel l’agace profondément. Stéphane Canard est le premier agent licencié à obtenir la licence FIFA, dès 1995. C’est dire s’il en a connu des histoires dans les coulisses du football. Président de l’Union des Agents Sportifs Français (UASF), groupement créé à l’époque avec -entre autres- Pape Diouf et Philippe Flavier, il en veut à tous ceux qui ne respectent pas les règles. Et forcément, à ceux qui ne les font pas respecter. Stéphane nous a accordé plus d’une heure d’entretien, mêlant tour à tour jeu offensif et contre-attaques bien senties.
Thibaud Vézirian. Récemment, vous vous êtres montré particulièrement agacé par l’image négative renvoyée par les agents, notamment dans les médias, alors même que le métier est très règlementé en France. Qu’est-ce qui vous embête à ce point ?
Stéphane Canard. L’agent licencié français subit les foudres, en permanence… Quand je dépose un contrat de mandat avec 2 ou 3 jours de retard parce que j’ai normalement 1 mois pour le déposer, je reçois un rappel à l’ordre par lettre recommandée… Alors que d’autres se moquent des règlements. Il y a 43 clubs professionnels. Ce n’est pas énorme. Il n’y a donc pas beaucoup d’interlocuteurs. Prenons l’UNFP (Union Nationales des Footballeurs Professionnelles), elle doit tenir son rôle. Elle ne communique pas assez avec les joueurs. Il faudrait leur expliquer qu’ils ne doivent prendre un agent que s’il est licencié. Qu’ils ne doivent pas discuter ou signer de contrat avec des agents non licenciés. Il faut aussi vérifier que le mandat a bien été déposé. Leur apprendre également qu’un contrat doit être respecté, etc. Si les clubs et les joueurs ne respectent pas ces règles, ils doivent être sanctionnés. Il n’y a en réalité pas de sanction ! Les seuls à se faire sanctionner, ce sont les agents licenciés.
Vous ne pensez pas que les choses se mettent en place petit à petit et que ça va évoluer dans le bon sens ?
S.C. (il sourit) Pas vraiment. Nous sommes responsables pour et par nos actes, mais j’ai l’impression qu’on n’arrive pas à faire évoluer les choses et que tout le monde s’en fout. Quand vous allez sur les réseaux sociaux et que l’on voit qu’une personne sans licence s’affiche en photo avec des joueurs, des dirigeants en train de signer des contrats, pourquoi la Fédération valide ça ? Si la Fédération envoie cette preuve au procureur, dans 99% des cas, celui-ci répondra que ce n’est pas suffisant…
« Emiliano Sala… »
Intermédiaires, avocats, mandataires sportifs, scouts, agents non communautaires… Beaucoup font le travail d’agent sans posséder de licence. C’est un système entier à reprendre à zéro ?
Stéphane Canard. Comment des personnes sans licence sont rémunérées ? Comment des agents hors communautaires peuvent travailler sur le sol français puisque c’est interdit ? Comment embauchent-ils des Français pour travailler ici ? Et comment les clubs discutent avec ces gens-là alors que c’est interdit ? Quid des avocats mandataires sportifs ? Qui les contrôlent ? La Fédération Française de Football (FFF) n’a pas le droit. Si, moi, agent licencié, je collabore avec une personne, vous croyez que je peux la commissionner ? Interdit, formellement. Certains avocats mandataires sportifs, vous croyez qu’ils ne rétrocèdent pas d’argent à quelqu’un qui n’a pas la licence. L’avocat mandataire sportif doit être une activité accessoire. Qui contrôle ça ? Ils dépendent du barreau. Donc quels sont les moyens de la Fédération de vérifier tout ça ?
Vous faites un constat négatif de la situation actuelle. Mais vous qui êtes dans ce métier depuis près de 30 ans, rien n’a changé ?
S.C. Il y a eu des changements, des ambitions… de circonstance. On veut se laisser bonne conscience, donc on fait semblant. On ne se donne pas les moyens de changer le système réellement. Nous sommes acceptés comme un mal nécessaire, mais pas reconnus, ni écoutés. Les agents n’ont pas encore trouvé leur place. Et comme pour le grand public, les agents, c’est « tous pourris ». Que dans les médias, certains mélangent tout, entre entourages, imposteurs, faux agents, familles, etc. Quand un garçon comme Emiliano Sala prend l’avion, on s’aperçoit que des agents ne sont pas licenciés, que des Anglais ne le sont pas non plus, que des mandats ont été donnés. Et qu’un avion ne respectait pas non plus les normes ! L’avion s’est écrasé dans la Manche, et 1 an après, tout le monde a oublié. Ou beaucoup. Dès le départ, c’est un manque de respect des règlements.
Je vous sens un peu las de la situation, comme agacé par le système. Vous avez parfois envie de tout arrêter ?
S.C. Non. J’ai une responsabilité. Bénévole, certes, mais une responsabilité quand même. À partir du moment où j’ai accepté d’être président d’un groupement d’agents, où nous sommes plus de 50, je me sens responsable vis à vis des membres. J’ai une mission. Indépendamment d’être membre de la commission des agents à la Fédération française -beaucoup disent que ça ne sert pas à grand-chose, au moins, ça permet de faire passer des messages-, j’ai ce devoir de représenter l’ensemble de notre profession. Et même quand un agent non membre de l’UASF est convoqué par la FFF, je contacte cet agent pour m’imprégner de son dossier. C’est beaucoup de temps passé au détriment de mon travail, en effet.
« La nécessité d’un numerus clausus »
Mais alors que faut-il faire pour changer les choses et faire évoluer ce système ?
S.C. Le chantier est colossal. Ça fait 29 ans que je fais ce métier, j’ai gardé l’amour du football. Le football doit être au-dessus de tout. Nous devons respecter ce sport. Et respecter les femmes et les hommes qui le pratiquent. En France, la ministre de la jeunesse et des sports se doit de vérifier la bonne application du code du sport. La loi. Est-ce qu’elle le fait ? On peut se poser la question. Ensuite, des institutions comme la FFF possèdent des services dédiés à la bonne pratique du football, à la bonne application des compétitions, à la gestion du monde amateur… Avec une délégation à la Ligue pour gérer le monde professionnel. Dans ces mondes-là, vous avez des licences, etc. Vous avez ensuite des groupements : de clubs professionnels, de fédérations avec des ligues et districts, une LFP avec des syndicats, des groupements comme le syndicat de joueurs UNFP. Et tout ce monde participe à la bonne marche du football. Tous ces gens ne doivent pas oublier qu’il faut d’abord avoir le respect du football et aussi, le respect des règles. Le droit, les codes.
Certains organismes ne jouent pas totalement leur rôle ?
S.C. L’UNFP devrait d’abord rappeler à ses joueurs d’absolument signer avec un agent licencié, au lieu de penser d’abord à faire payer des cotisations, de conseiller des placements financiers à ses joueurs, de penser aux droits TV. Je rappellerais ensuite aux clubs professionnels et amateurs qu’ils ne doivent discuter qu’avec des agents licenciés et des personnes autorisées. Si ce n’est pas le cas, des sanctions existent contre eux et doivent s’appliquer. Quand je dépose, moi, Stéphane Canard, tous mes contrats sur le site de la Fédération, c’est public. Vous pouvez donc vous apercevoir que certains, eux, ne déposent rien. Ils vivent de quoi ? Petite parenthèse : Il y a environ 500 agents licenciés en France pour 1000 joueurs professionnels. On va se retrouver avec un agent par joueur ? Il n’y aurait pas nécessité absolue d’avoir un numerus clausus ?
« Un encadrement beaucoup plus strict »
Les acteurs du monde du football cherchent parfois à contourner le système. C’est devenu une habitude ?
S.C. Quand je dépose un contrat, ça veut dire que le joueur accepte de payer la commission. Le club peut se substituer au joueur pour me payer la commission. À condition que je signe un contrat tripartite. Malgré cela, le joueur devra payer des impôts. Alors que si je ne dépose pas le contrat avec le joueur, que je fais faire un mandat au club pour convaincre le joueur de signer chez lui, le joueur ne paiera alors pas d’impôts sur la commission… Vous comprenez ? Les gens plus ou moins bien intentionnés essayent donc d’influencer les joueurs pour les inciter à sortir du cadre légal. Par ailleurs, on s’aperçoit facilement que de nombreux joueurs n’ont pas d’agent : Pourquoi ? Que fait la FFF ? Où est la veille ? Il y a nécessité d’un encadrement beaucoup plus strict. Et d’un suivi de l’État, de la justice, des procureurs. Si les lois et le code du sport existent mais ne sont pas respectés, alors arrêtons tout ! Plus de licence et la foire d’empoigne. Ça ne me gêne pas, mais qu’on le dise clairement. Ces lois ne sont pas applicables ou ne veut-on pas les appliquer ?
Avec le potentiel rachat de clubs français par des investisseurs étrangers, un vent nouveau souffle en France, est-ce le moment de remettre le système à plat ?
S.C. Quand je vais dans un club français qui vient d’être vendu à une structure étrangère, avec comme objectif l’image et le retour d’investissements, vous croyez que ces nouveaux propriétaires étrangers ont été lire les textes concernant la gestion des joueurs, des contrats ou mandats ? Encore plus lorsque les nouveaux dirigeants débarquent dans le monde du football ? Si ces gens-là ne connaissent pas la réglementation, comment voulez-vous qu’ensuite, leurs salariés reçoivent le message du bon respect des lois françaises ?
Le fonctionnement médiatique vous énerve ?
S.C. Je regardais le match de la France au Kazakhstan, avec des joueurs pleins de qualités. Depuis plusieurs années, les prestations de l’un d’eux ne sont pas de très haut niveau. La raison ? Il est souvent blessé. Au choix, hygiène de vie ou manque de chance. Il est géré par un agent sans licence FFF, présent sur le marché français, qui s’occupait aussi d’autres joueurs. Il possède beaucoup de connexions avec beaucoup de journalistes. Face au Kazakhstan, le jeune brille. Les médias s’enflamment. Il fait la Une de L’Equipe. Pour un match contre le Kazakhstan ! On est dans l’instantané, dans la culture de l’instant. Le club est ravi, son joueur est valorisé. Le conseiller est ravi. Les journalistes sont aussi gagnants, ils ont des histoires à raconter. Pour généraliser, dès qu’un joueur fait 1 ou 2 bons matchs, on survalorise les prestations. Le futur Zinedine Zidane, vous vous souvenez ? Sauf que Zidane à Bordeaux ou à Cannes, ce n’était pas celui de la Juventus.
Terminons sur une bonne note : Vous êtes agent depuis 1992, premier agent licencié FIFA depuis 1995. Quel est votre meilleur souvenir ?
S.C. J’ai géré 1200 négociations en 29 ans. J’ai 60 joueurs et entraîneurs sous contrat : notamment les coachs Jean-Pierre Papin, Laurent Peyrelade, Christophe Pélissier, ou encore les joueurs Pierre Lees-Melou, Valentin Rosier, Jean-Eudes Aholou, Gautier Larsonneur, Gaëtan Charbonnier, Romain Perraud… D’autres sont retraités : El Hadji Diouf, Eric Carrière, Edouard Cissé, Camel Meriem, Danijel Ljuboja, Zoumana Camara, Stéphane Dalmat, Daniel Moreira, Aymen Abdennour, ou encore Stéphane Trévisan, désormais mon associé, etc.
Si je dois sortir une anecdote, c’est celle autour de Vincent Candela, que j’ai accompagné toute sa carrière. Il était à Toulouse, je l’amène à Guingamp. Et après une saison et demie, l’AS Roma se fait connaître et le veut absolument. Le Président de Guingamp, Bertrand Salomon, freinait des quatre fers. J’avais essayé de le sensibiliser au fait que c’est bien d’avoir la posture du Président, mais quand vous gagnez 1 à Guingamp et qu’on vous propose 100 à Rome -ce n’était pas l’échelle mais à peu près-, vous êtes aussi père de famille, est-ce que vous ne voudriez pas ça pour votre fils ? Il répond : « Stéphane, si on gagne ce match face à Lille, je le vends ». Guingamp a marqué le but de la victoire à la 89e minute ! Dans la foulée, la négociation n’a pas été facile entre les 2 clubs. Rome demandait certaines choses. Bertrand Salomon en a eu marre et m’a demandé de gérer. Comme quoi, quand on travaille bien, on vous fait confiance naturellement… Ce que j’aime bien, c’est quand tout le monde s’y retrouve, que tout le monde est content, même si la négociation a été longue et difficile.
Zone technique
Stéphane Canard
Né le 5 juillet 1960
Agent licencié FFF depuis 1995
Président CLK Foot
Président de l’Union des Agents Sportifs Français (UASF)
Geste technique préféré : La reprise de volée. Surtout du mauvais pied !
Idole de jeunesse : Maradona. La folie.
Tes matchs références : Il y a 3 événements… Le France-Allemagne à Séville en 1982. Le France-Brésil au Mexique en 1986, avec le pénalty de Luis Fernandez. Et enfin, la Coupe du monde en Argentine en 1978. Une ambiance fantastique. L’Argentine, avec Kempes, Luque et les autres, j’avais l’impression que c’était les Beatles ! Et ce match de l’équipe de France, avec des maillots verts et blancs rayés lors du 3e match… Folklorique !
Thibaud Vézirian. Rédacteur en chef.
Journaliste, présentateur, chroniqueur et producteur… Vous pouvez me retrouver sur La Chaine L’Équipe et sur ma chaine YouTube T.V. Sport