Aider les joueurs, les joueuses, les clubs, les présidents, les agents, les familles de sportifs… Voilà le quotidien de Maître Sevan Karian, avocat au Barreau de Paris depuis 10 ans. Spécialisé en droit du sport, il conseille des clients venus en majorité du monde du football, mais aussi du golf ou encore du surf (Justine Dupont), son autre passion. Aujourd’hui proche du Président lensois Joseph Oughourlian, Sevan Karian est également très actif dans le milieu du football féminin. Il reste aussi celui qui était derrière la signature d’Antoine Griezmann au FC Barcelone.
Thibaud Vézirian. C’est plus dur de réaliser la signature d’Antoine Griezmann au Barça ou de négocier pour prolonger une joueuse à Lyon ou au Paris-Saint Germain ?
Sevan Karian. (il sourit) C’est vrai que le transfert d’un grand joueur comme Antoine Griezmann pourrait être plus facile à réaliser que celui d’une joueuse plus modeste. Car ce ne sont pas les sollicitations qui manquent pour lui. Mais en l’occurrence, le transfert d’Antoine Griezmann restait complexe. Ça avait déjà fait beaucoup de bruit l’année précédente, avec sa longue réflexion et son souhait de rester finalement à l’Atlético. On a entendu beaucoup de mensonges au sujet de ce dossier, soit disant dealé des mois à l’avance. C’est faux. Les enjeux financiers, médiatiques et sportifs étaient tellement importants que ça n’a pas rendu ma tâche si facile. Il y eu une grosse partie de négociations et une partie juridique très importante. Il fallait activer une clause résolutoire dans un contrat de travail. À savoir, une possibilité laissée au joueur de rompre son contrat, selon un montant déterminé à l’avance entre les parties. Clause lui permettant ensuite de s’engager dans un autre club. Même si la plupart du temps, c’est le nouveau club qui paye le montant de cette clause, c’est un système qui n’existe pas en France. Le droit du travail l’interdit…
Vous êtes très lié avec la famille Griezmann ?
S.K. Ça fait environ 4 ans que je travaille avec eux. Ça coïncide avec l’époque où Maud, la sœur d’Antoine, est devenue son agent d’image. Elle a atterri dans un univers où son frère était engagé avec beaucoup de marques, ultra-sollicité. Des shootings, des interviews, même avec des marques qui ne lui correspondaient pas vraiment. Maud m’a demandé d’analyser tous ces contrats, pour voir comment renégocier ou s’en désengager. Quelques mois plus tard, Antoine lui a aussi demandé de gérer les aspects sportifs de sa carrière. Et c’est assez naturellement que l’on s’est mis à travailler en binôme. Un binôme très complémentaire. Avec l’aide de son papa aussi, qui participe toujours aux réflexions et apporte beaucoup de recul.
« Des baisses ou des reports de salaires »
Soyons cash… L’heure est à la prolongation, au transfert ou à la baisse des salaires ?
S.K. Il y a des discussions en cours sur des reports de salaires, effectivement. Ce n’est pas un secret. Que ce soit au Barça ou ailleurs. C’est un mouvement logique, qui doit arriver aussi en France. Il faut sauver le football. Et ça doit nécessairement passer par une participation des joueurs à l’effort collectif, avec des baisses ou des reports de salaires. Il faut pallier aux manques de revenus et de trésorerie actuels.
« Il faudra des changements, des restructurations »
Le football post-Covid19 ressemblera à quoi ? Ça va repartir comme avant ?
S.K. Dès que la crise sera passée, qu’on aura réussi à contenir cette pandémie, à remettre du monde dans les stades et dans les lieux pour regarder les matchs collectivement, je pense que ça ira mieux. On a bien compris que l’économie des clubs était très dépendante des supporters et de leur présence au stade, en plus des droits TV. Et comme tout modèle trop dépendant d’une ou deux sources de revenus, ça doit amener à des réflexions plus globales. Il faudra des changements, des restructurations. On parle de plus en plus de salary cap, de proportionnalité des dépenses avec les recettes… Un fonctionnement plus encadré, comme aux Etats-Unis en NBA ou en MLS. Mais le sport européen est culturellement différent, donc il faudra du temps.
Vous êtes très implanté dans le football féminin. Comment vous en êtes arrivé là ?
S.K. Je suis devenu avocat car j’ai toujours eu en moi l’idée d’aider « les plus vulnérables ». Dans le sport, je me suis naturellement tourné vers le football féminin. Mais ce fut aussi le fruit du hasard. Un jour, un ami m’a présenté une joueuse du Paris-Saint Germain, Karima Benameur. Elle ne voulait pas d’un agent et cherchait quelqu’un de compétent pour l’aider à renégocier son contrat de travail. J’avais, avec mon ami et confrère Maître Salim Boufenara, le profil idéal. On l’a donc aidée. Et j’ai trouvé intéressant d’aller négocier avec une grosse machine comme le PSG. C’était un mélange de tout : défendre des sportives dans le besoin et participer à élever le niveau de considération des femmes dans le sport. Les femmes ne sont pas forcément traitées de la même manière que les hommes dans la société, et c’est encore plus flagrant dans le football. Depuis, on a été recommandé à beaucoup de joueuses, qu’on a la chance d’accompagner encore aujourd’hui. Au moment de la Coupe du monde féminine, on représentait à nous deux près de la moitié de l’Équipe de France !
« Le rôle de l’avocat reste essentiel dans le sport »
Vous étiez donc avocat et mandataire sportif ?
S.K. Aujourd’hui, je n’exerce plus en tant que mandataire sportif. Ce n’est pas une activité que j’ai envie de développer. Je préfère collaborer avec un agent ou un proche pour accompagner un athlète. Mais à l’époque, je le faisais pour les joueuses car aucun agent ne s’intéressait à ce créneau-là. Elles en avaient quand même besoin. Et tout était simple avec les joueuses, elles étaient adorables, humbles, accessibles, reconnaissantes, ce qui est rare dans ce milieu. Le foot féminin a changé depuis…
La Coupe du monde 2019 a marqué un tournant ?
S.K. Un énorme tournant ! Radical. On est entré de plein fouet dans l’ère de la professionnalisation. Je fais tout depuis le début pour les aider à aller vers ça, donc je ne vais pas m’en plaindre. Les filles méritent ça. Mais la médiatisation, la glorification, la visibilité, ça a des bons côtés mais aussi des mauvais. Beaucoup de gens sont arrivés par intérêt, pensant qu’il y avait un nouveau marché colossal… Ils ont vite déchanté. On a beau avoir de plus en plus de visibilité, ce n’est pas pour ça que les salaires et l’économie augmentent proportionnellement à cet engouement. Ça progresse, mais ça reste dérisoire par rapport au football masculin. Beaucoup de nouveaux agents sont tout de même arrivés dans ce milieu et beaucoup de familles se sont improvisées agents sportifs… Sans forcément s’entourer comme il le faut. Or, je suis persuadé que les rôles sont complémentaires, et que celui de l’avocat reste essentiel dans le sport. Pour les athlètes comme pour les clubs ou les agents.
Thibaud Vézirian. Rédacteur en chef.
Journaliste, présentateur, chroniqueur et producteur… Vous pouvez me retrouver sur La Chaine L’Équipe, CNews et sur ma chaine YouTube T.V. Sport.