Il a connu une carrière de footballeur, puis celle d’entraîneur. Le voilà désormais agent ! Un agent particulièrement attentif envers les joueurs délaissés, ceux en qui le monde professionnel ne croit plus trop. Yassine Askri ne veut laisser personne au bord de la route, alors il se démène. Et nous raconte son histoire, plein d’énergie.
Thibaud Vézirian. Vous faites partie de ces footballeurs dont les rêves se sont envolés un peu tôt. La fameuse blessure de celui qui n’a jamais percé ?
Yassine Askri. C’est un peu ça. J’ai été formé dans le monde professionnel, à Louhans Cuiseaux, à l’époque en Ligue 2. Et en effet, j’ai enchaîné les pépins physiques. Une hernie discale m’a éloigné des terrains. Un peu… Beaucoup ! Je n’ai pas pu signer mon contrat professionnel à cause d’une « jambe plus grande que l’autre », de 2 centimètres ! J’ai vadrouillé, galéré. Des pseudo-agents m’ont envoyé en Belgique, en Angleterre, en Tunisie. Ça n’a jamais abouti. Certains ont même essayé de se faire de l’argent sur mon dos avant même que je ne fasse mes essais. Beaucoup de malentendus, pas mal de malhonnêteté.
Vous avez donc multiplié les essais, sans réussite. Qu’est-ce qui vous a permis de rebondir ?
Y.A. J’étais en situation d’échec. C’est là que j’ai connu ma femme. Elle a changé ma vie, vraiment. Elle m’a motivé pour passer mes diplômes d’entraîneur. J’avais 22 ou 23 ans. Je ne pensais pas avoir la fibre mais elle avait totalement raison. J’ai obtenu mon brevet d’État UEFA A (NDLR : L’équivalent du BEF). J’ai eu plusieurs expériences en région parisienne. À Ivry, Pierre Mbappé, coach de la N3 et actuel Président du club, m’avait félicité pour mon travail et incité à aller plus loin. Je ne savais pas à ce moment-là que c’était l’oncle de Kylian. Ça m’a fait plaisir, donné de la confiance. J’ai pu coacher les U15 DH puis les U16 régionaux à Vincennes. Mais c’est très difficile d’entraîner à ce niveau et d’en vivre. Je suis resté ensuite 5 ans en tant que directeur sportif du Plessis-Trévise (Val de Marne). Et l’idée de devenir agent a fait son chemin dans ma tête…
« Dans le football, rien n’est jamais fini »
Quel a été le déclic pour devenir agent de football ?
Y.A. Je voyais trop de bons joueurs mal conseillés, débarquer dans le monde professionnel sans être entourés correctement. Je côtoyais beaucoup de jeunes avec énormément de talent, comme Ibrahima Konaté, désormais à Leipzig en Allemagne. Les parents me sollicitaient pour les conseiller, les encadrer, etc. Mais en tant qu’entraîneur, on ne peut pas tout mélanger. Il ne faut pas avoir plusieurs casquettes, il en va de ta crédibilité. Certains veulent être entraineur, agent, conseiller sportif… Ça coince. C’est là que j’ai donc voulu passer ma licence d’agent.
Vous êtes donc agent licencié depuis 2017. Comment se sont déroulés vos premiers pas dans le métier ?
Y.A. Ça a été forcément un peu difficile. J’ai fait jouer mes relations, petit à petit. Rapidement, j’ai réussi à faire signer un joueur en professionnel : Ousmane Kanté, défenseur au Paris FC. Je le suivais déjà depuis un moment. Fabuleuse histoire, car il n’a signé professionnel qu’à 27 ans ! Comme quoi, dans le football, rien n’est jamais fini. Tout s’est alors enchaîné.
« Aider les joueurs délaissés »
C’est là que vous vous êtes dit qu’il fallait aider tous ces joueurs passés sous les radars du monde professionnel ?
Y.A. Exactement. J’ai ensuite récupéré une pépite du SCO d’Angers, non conservé. Pour moi, Rémi Vita, c’était un top joueur mais ce n’était alors pas vraiment l’avis de tout le monde ! (il sourit) Je l’ai proposé à pas mal de clubs de Ligue 1 et Ligue 2. On m’a ri au nez… Deux ans plus tard, il signe au Bayern Munich. C’est là que j’ai eu l’idée de lancer mes stages de détection pour les joueurs non conservés en centre de formation. Mais aussi ceux qui n’ont jamais trouvé de contrats professionnels, ne rentrant pas dans le schéma de formation à la Française. De N’Golo Kanté, à Tanguy Ndombélé, en passant par Nabil Fékir, Frank Ribery ou Antoine Griezmann, regardez tous ces exemples de joueurs qui n’étaient pas dans le moule du monde professionnel français. Et pourtant, ce ne sont pas des grands joueurs ? Bien sûr que si ! Alors j’ai décidé d’aider ces joueurs délaissés en les réunissant, environ 2 fois par an. Sous le regard d’entraîneurs et superviseurs. Ça s’appelle My Football Concept.
Vous semblez particulièrement remonté contre le modèle de détection français…
Y.A. Il y a un réel problème dans le système de recrutement en France. Je suis désolé de le dire. Mais le seul métier où l’on n’est pas formé, c’est celui de recruteur, malheureusement. Agent, entraîneur, dirigeant, il existe des formations de top niveau. Ça n’existe pas chez les recruteurs et ça m’agace de voir autant de bons joueurs laissés sur le carreau.
« Proche de Blaise Matuidi »
Quatre ans après avoir obtenu votre licence, ça y est, vous êtes en place ?
Y.A. Je m’occupe de 13 joueurs, pas tous dans le milieu professionnel. J’aime par-dessus tout m’occuper de joueurs en formation et les accompagner le plus loin possible. Même si, en 2021, très rares sont ceux qui restent avec le même agent. La concurrence est rude. Certains promettent monts et merveilles à des joueurs. Ils vendent des rêves, je combats ça.
Comment vous faites pour combattre ça, justement, et contrecarrer la concurrence ?
Y.A. J’essaye toujours d’être le plus juste, le plus droit possible. Quand je discute avec les parents d’un jeune joueur, je ne m’invente pas une vie. Il faut leur dire la vérité. Être rigoureux et proche d’eux. J’ai connu Blaise Matuidi pendant toute sa carrière, j’étais dans son entourage lors de tous ses transferts : Troyes, Saint Étienne, PSG, Juventus. Je n’étais alors pas agent, mais j’ai observé, j’ai pris de l’expérience, j’ai compris le système. Ça m’a beaucoup aidé et fait gagner du temps.
La période Covid-19 est compliquée pour tous. Qu’est-ce que vous voudriez changer en priorité ?
Y.A. Quand vous vous occupez d’un jeune de 16 ans avec un mandat de 2 ans, le maximum, il grandit avec vous, signe ses premiers contrats, gagne ses premiers salaires… Et au moment du contrat professionnel, il peut vous quitter, vous n’avez rien gagné. Des années de travail pour rien. Il y a un manque de reconnaissance de notre travail, par les joueurs et par les instances. Quand on commence dans le métier, c’est difficile, c’est de l’humain, il faut s’accrocher. Je trouve ça dommage. La faute n’est pas à mettre que sur les joueurs. Les instances ne nous aident pas. Un agent non licencié qui sollicite nos joueurs, ça existe et nous n’avons strictement aucune façon de nous y opposer. Nous avons des contrats légaux via notre licence mais eux ont des moyens de contourner ça. Ce n’est pas normal ! Même un rassemblement des Équipes de France, nous n’y avons pas accès. Comme si nous étions dangereux. Il faut sensibiliser le monde du football à notre métier, son sérieux et son importance.
Zone technique
Yassine Askri
Né le 20 juin 1984, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis)
Agent licencié depuis 2017
Geste technique préféré : Le petit pont. À regarder c’est pas mal, en réaliser un en plein match, c’est beaucoup mieux.
Idole de jeunesse : Zizou !
Ton match qui t’a le plus marqué : Le France-Croatie de la Coupe du monde 1998, en demi-finale. Le doublé de Lilian Thuram qui retourne la situation.
Thibaud Vézirian. Rédacteur en chef.
Journaliste, présentateur, chroniqueur et producteur… Vous pouvez me retrouver sur La Chaine L’Équipe et sur ma chaine YouTube T.V. Sport.