Matheus Diniz est né dans une ville brésilienne de taille moyenne, située dans le cratère d’un ancien volcan. Rien ne le prédestinait à débarquer un jour à Orléans, puis à entrer dans le monde du football. À toute allure. Sans calculer. À 30 ans, le voilà agent d’image de grandes stars comme David Luiz, Lucas Moura ou Layvin Kurzawa. Un réseau acquis à force de travail et de simplicité. Main dans la main avec les agents sportifs.
Thibaud Vézirian. Qu’est-ce que s’est dit un Brésilien comme vous en débarquant à Orléans il y a près de 10 ans ?
Matheus Diniz. Je ne me suis rien dit, c’est l’amour qui m’a fait venir ! J’ai rejoint ma femme, tout simplement. J’avais 21 ans quand je suis arrivé en France. Et un rêve précis : travailler dans le marketing et créer mon entreprise. J’ai toujours adoré le football mais je ne pensais pas pouvoir intégrer ce milieu. D’ailleurs, j’ai enchainé les petits boulots : dans le bâtiment ou encore au McDonald’s. Un jour, je me suis permis de dire au propriétaire du McDo pour qui je travaillais que l’établissement aurait bien besoin de mes conseils marketing pour redresser son chiffre d’affaires. Il m’a ri au nez… Mais m’a répondu : « Est-ce que tu t’y connais en rugby ? ». Nous, les Brésiliens, on n’y connaît strictement rien à la balle ovale ! Pourtant, j’ai acquiescé : « Évidemment que j’adore le rugby ! ». Il était en fait sponsor de l’équipe de rugby d’Orléans. J’ai passé la nuit à réviser, à essayer de comprendre le jeu, ses spécificités, sa culture… Et je lui ai créé une campagne marketing sur-mesure. Ça a cartonné ! À partir de là, tout s’est accéléré pour moi.
Comment êtes-vous devenu le conseiller marketing de nombreux joueurs brésiliens ? Ça paraît surréaliste.
M.D. (il sourit) L’ancien rémois Diego Rigonato m’a rapidement proposé de lui faire quelques visuels, histoire de me faire la main. Ce fut une première expérience. L’avocat de Maxwell (NDLR : alors joueur du PSG) m’a ensuite contacté spontanément, suite au succès de ma campagne de communication pour le club de rugby. Il m’a proposé un stage gratuit pour m’occuper de la page Facebook du latéral gauche parisien. J’ai foncé ! J’avais un respect énorme pour Maxwell, même s’il n’était pas spécialement connu au Brésil. Sa page a beaucoup grandi, j’étais ravi. Et un jour, à l’église à Orléans -nous, Brésiliens, sommes très croyants-, je croise Lucas Moura, l’ancien parisien, aujourd’hui à Tottenham ! Aucune idée de ce qu’il faisait là. Certains ont fait des photos, d’autres lui ont demandé des autographes. Mais il était assez seul. Je suis venu lui parler, rigoler comme avec un jeune de mon âge. On s’est lié d’amitié…
C’est donc Lucas qui vous a intronisé auprès d’autres joueurs brésiliens ?
M.D. J’étais devenu assez proche de Lucas. Et c’est vrai qu’un week-end, il m’a invité à venir profiter d’un barbecue chez lui. Un rêve éveillé. Un autre monde pour moi ! Je me suis senti un peu loin de ma réalité… Alors au lieu d’aller parler à Thiago Silva et aux joueurs, je suis resté tout l’après-midi à discuter avec celui qui cuisinait la viande au barbecue. Une journée fabuleuse. Suite à ça, l’avocat de Maxwell me rappelle pour me dire que l’agent de Lucas souhaiterait me voir pour collaborer avec moi. Je fonce à nouveau à Paris… Et sur qui je tombe chez Lucas ? L’homme avec qui j’avais passé la journée à côté du barbecue ! Je pensais que c’était le cuisinier ! Pas du tout. C’était son agent… (il rit)
« Champions, mon frère ! »
C’est votre spontanéité et votre simplicité qui vous permet d’obtenir la confiance des joueurs et de leur entourage ?
M.D. On est de la même génération, on s’entend bien, on accroche, c’est naturel. Avec Lucas, c’est finalement là-aussi un stage que l’on me propose : À moi de faire mes preuves et de faire grandir ses réseaux sociaux. J’ai donc travaillé d’arrache-pied, nuits et jours. J’ai approfondi mes connaissances marketing, révisé mon Français et réfléchi aux façons de m’adapter au monde du football. Il faut d’abord faire ses gammes pour réussir.
C’est après cet enchaînement d’événements que vous créez votre société. Aujourd’hui, il vous arrive donc fréquemment de côtoyer les agents licenciés. Ça se passe bien ?
M.D. Tout se fait main dans la main. Mais un agent sportif doit savoir que grâce à un professionnel comme moi, qui travaille l’image des joueurs et les met en valeur, il aura plus de temps pour chercher des clubs, négocier. Et aussi plus de temps pour négocier des contrats avec de grosses entreprises. Le métier d’agent d’image est un peu nouveau en France. Certains agents sportifs pensaient encore il y a peu qu’ils pouvaient assumer ce rôle-là. Mais c’est un métier à part entière. Le marché français avait vraiment un manque. L’athlète, il faut le connaître parfaitement afin de le valoriser. Sur les réseaux, il s’agit de créer un personnage et de le faire vivre au gré des résultats, des performances, de l’actualité. On ne doit pas dénaturer l’athlète, mais il faut lui créer une image forte. Quand Lucas a crié : « Champions, mon frère ! ». On a alors décidé de transformer ça en produit marketing. On a surfé là-dessus et les supporters ont adoré. On peut toujours demander aux joueurs de dire certaines choses, mais le mieux, c’est qu’ils gardent leur naturel. À nous de nous en servir ensuite. Encore aujourd’hui, les supporters parisiens qui croisent Lucas lui disent « Champions, mon frère ! ». Un joueur est une marque, une entreprise, ce n’est plus une personne.
« J’avais annoncé que je travaillerai avec David Luiz »
David Luiz (Arsenal), David Neres (Ajax), Layvin Kurzawa (PSG), Andreas Pereira (Lazio), Vitinho (Cercle Bruges), Joel Pereira (Huddersfield)… Les contacts s’enchaînent et les opportunités affluent. C’est vous qui les appelez ?
S.C. Non ! David Luiz a vu mon travail pour Lucas. Il m’a demandé de l’aider à développer son club de futsal, à Clichy, dans les Hauts de Seine. Il a beaucoup aimé mon travail ! Et pareil, il m’a ensuite demandé de collaborer avec lui. C’était un de mes rêves ! David Luiz a un cœur énorme. C’est un formidable leader, très charismatique. Un des seuls défenseurs qui me faisaient rêver quand j’étais plus jeune. Il y a 15 ans, au Brésil, j’avais annoncé qu’un jour je travaillerai avec David Luiz ! Personne ne m’avait cru… Quand vous travaillez pour David Luiz, on ne vous regarde plus pareil. Mais attention, pas le droit à l’erreur. Il faut faire preuve de toujours de plus de sérieux, d’organisation et de créativité. À l’arrivée, le bouche à oreille fonctionne bien, je n’ai jamais envoyé aucun message aux joueurs pour proposer mes services.
« Ronaldinho ne s’est pas réveillé… »
Vous possédez encore des rêves inachevés ? Travailler avec Ronaldinho par exemple ?
M.D. Lors de la dernière saison de Lucas au PSG, Ronaldinho était invité au Parc des Princes. Le club organise alors le tournage d’une vidéo avec Ronnie et on m’appelle pour gérer ça avec Lucas. Ils autorisent même ma venue. Je n’ai pas dormi de la nuit… C’est le seul et unique joueur qui m’a fait vibrer quand j’étais petit. Ronaldinho, c’est hors norme, je regardais les matchs du Barça et du Brésil rien que pour lui. Je m’étais donc mis sur mon 31 pour venir assister à ce tournage exceptionnel… Problème, je ne l’ai jamais vu ! Ni de près, ni de loin. Ronaldinho ne s’est pas réveillé, il n’est pas venu… Ils ont repoussé le tournage au lendemain au centre d’entraînement. Je ne pouvais pas y aller. On peut dire que Ronaldinho m’a dribblé ce jour-là !
« Les joueurs sont désormais jugés sur leur dernier match. »
Les joueurs sont devenus des marques, chacun à leur échelle. Les réseaux sociaux deviennent donc quelque chose de vitale ?
M.D. C’est très important, c’est vrai. Des bons joueurs, il y en a beaucoup. Il faut donc savoir se démarquer. Communiquer à bon escient. Le joueur doit rester lui-même et prendre conscience de son rôle d’exemple vis-à-vis des jeunes. Et il ne faut pas se mentir : Grâce à une bonne maîtrise de son image, il arrivera à monétiser ça. Ce qui fait que pour beaucoup de joueurs, la moitié de l’argent qu’il gagne ne vient plus du club. Mais grâce aux partenariats extérieurs.
Les joueurs regardent beaucoup les critiques sur les réseaux ? Que faut-il faire en tant que conseiller en image ? Thierry Henry vient par exemple de supprimer ses comptes pour alerter face à la montée des messages haineux, racistes, etc.
M.D. Ça dépend vraiment des joueurs. Les plus jeunes sont très connectés. Ils regardent énormément les réseaux, les vidéos, etc. C’est donc à moi de les coacher. Un joueur est désormais jugé uniquement sur son dernier match. David Luiz m’a appris ça. Les matchs d’il y a 1 mois ou 2 sont très vite oubliés. Tu peux être le meilleur défenseur de Premier League, si tu réalises une mauvaise performance, tu te fais démolir le soir-même. Le football va très vite dans les 2 sens. À toi de savoir ce que tu vaux vraiment. Et du coup, moi, je m’occupe d’adapter la communication digitale du joueur. Tous les lundis, je fais un point suite aux matchs du week-end. Et je réadapte la communication de chacun de mes joueurs.
Comment on conseille un joueur qui connaît des très hauts et des très bas dans sa carrière, comme Layvin Kurzawa ?
M.D. Quand j’ai eu l’opportunité de collaborer avec lui, j’ai accepté tout de suite. Mais il fallait absolument le connaître très personnellement avant de commencer à se mettre au travail. J’ai donc pris ma voiture, direction son domicile. Et j’ai découvert une personne hyper franche, honnête, un caractère direct. Il ne manie pas la langue de bois. J’adore. Je me dois de jauger l’homme d’abord car en gérant son image, je rentre dans son intimité… Je possède tous ses mots de passe, il ne faut pas l’oublier ! Layvin avait en réalité besoin de retrouver du lien avec la presse française, il était mal vu car incompris. À lui d’en dévoiler un peu plus pour se faire mieux comprendre. Son mariage et la naissance de sa fille l’ont énormément fait murir. C’est quelqu’un d’incroyable. Mais comme je le disais, on ne retient que le dernier match d’un joueur. Il était pourtant sur une belle série, de matchs à bon niveau sous Pochettino. Mais on ne retient en ce moment que le dernier penalty causé et sa petite blessure. Il prend désormais mieux soin de son corps. Je lui ai déjà dit de ne se concentrer que sur son football : « Tu t’occupes du terrain et de ton corps, je m’occupe du reste ! ».
Zone technique
Matheus Diniz
Né le 5 novembre 1990, à Poços de Caldas (Minas Gerais – Brésil)
Agent d’image
Geste technique préféré : L’elastico de Ronaldinho ! Et également sa version inversée, en ramenant le ballon derrière sa jambe.
Idole de jeunesse : (sans réfléchir) Ronaldinho ! Je n’aimais pas spécialement le foot, j’aimais juste Ronnie. C’est grâce à lui si je travaille désormais dans le milieu du football.
Tes matchs références : Le match fou de Ronaldinho avec le Barça à Santiago Bernabeu, en novembre 2005 (0-3). Les supporters adverses l’avaient applaudi. Et je me souviens aussi d’un Brésil-Costa Rica en Coupe du monde 2002. J’avais mis mon réveil à 3h du matin pour regarder ce match, j’avais 11 ans… J’étais un gamin amoureux du foot.
Thibaud Vézirian. Rédacteur en chef.
Journaliste, présentateur, chroniqueur et producteur… Vous pouvez me retrouver sur La Chaine L’Équipe et sur ma chaine YouTube T.V. Sport