L’homme de l’ombre, l’homme qui négocie les contrats pour son frère Éric, c’est lui, Jean-Marie Cantona. Agent multicarte. Également l’homme de tous les succès : footballistiques et artistiques. Il a commencé et grandi professionnellement à Manchester United il y a près de 30 ans. Une longueur carrière, un métier passion, un métier usant. Mais le besoin d’adrénaline reste toujours intact. Jean-Marie nous a accordé spontanément plus de 30 minutes d’entretien, depuis son domicile au Portugal.
Thibaud Vézirian. Vous avez démarré dans le métier à une autre époque, un autre siècle même. C’était comment ?
Jean-Marie Cantona. J’ai commencé à travailler avec Éric, à Manchester United de 1992 à 1997. Pas en tant qu’agent. Plutôt manager. Avec mon frère Joël, je négociais ses droits d’images, la publicité et le merchandising. On était aux prémices du développement de ces domaines dans les années 90. Quand Éric a arrêté sa carrière en 97, j’avais donc déjà une grosse expérience. Je côtoyais tout le temps Éric, les stars de Manchester… Et je connaissais vraiment bien le milieu du football français, notamment la formation. Avec l’AJ Auxerre, la référence à l’époque. J’étais aussi souvent avec mon autre frère, Joël, alors professionnel à l’OM (1994-96), issu du centre de formation olympien. Je baignais là-dedans. Donc quand Éric a mis un terme à sa carrière, j’ai décidé de devenir officiellement agent afin de faire bénéficier de mon expérience aux joueurs. Je ne voulais pas travailler dans l’illégalité et j’ai logiquement décider de passer l’examen.
C’est en 1999 que vous devenez agent licencié. À l’époque, une licence d’agent sportif FIFA agréée par la FFF. C’était déjà beaucoup de travail pour être diplômé ?
J-M.C. Ce n’était pas facile. Il a fallu beaucoup travailler pour obtenir le sésame. S’enfermer pour apprendre le droit des contrats, les lois, la charte du football français… C’est un devoir de connaître tout ça pour exercer. Je vois aujourd’hui beaucoup de familles qui s’occupent d’un joueur, de leurs enfants, de leur frère ou leur cousin. Si ils ont le niveau pour s’occuper de leur famille, ils devraient avoir le niveau pour passer le diplôme, et je les encourage à le faire. C’est un minimum pour être en règle. On n’a pas le droit d’exercer sans licence. On voit des choses malheureusement pas toujours très réglementaires.
« J’ai collaboré avec 20-30 joueurs »
Quels étaient vos premiers clients ?
J-M.C. Ce sont des joueurs qui sont ensuite devenus des amis. Mickaël Pagis, par exemple. Puis Fabien Barthez, avec qui j’ai dernièrement travaillé pour la publicité Uber Eats. Ou encore Fabio Celestini, Marvin Martin et Jean-Christophe Devaux, etc. J’ai collaboré pendant une vingtaine d’années avec 20-30 joueurs de très haut niveau. Si je refais mon palmarès glané grâce à eux, j’ai tout gagné ou presque ! Coupe du monde, Ligue des Champions, championnat d’Europe, Coupe UEFA…
Quand on s’appelle Cantona, les joueurs sonnent à votre porte pour travailler avec vous ?
J-M.C. Je suis très pris par mon travail d’agent d’image pour mon frère Éric. Je me suis diversifié au fil du temps et aujourd’hui, je me concentre beaucoup sur la promotion de la personnalité d’Éric, la production de films et documentaires, des contrats à l’international. Je m’éclate dans l’image, dans la production, ce sont d’autres domaines ultra passionnants. Et occasionnellement, je collabore toujours avec d’autres joueurs, comme Fabien Barthez dernièrement. Des relations de confiance longue durée. Mais je ne reste jamais loin des terrains.
« Tout le monde connaît Mendes et Raiola, mais… »
Tout s’est donc très bien passé pour vous… Qu’est-ce qui a fait la différence ?
J-M.C. Tout ce que je fais, je le fais avec le cœur ! Voilà. Quand tu tournes avec une vingtaine de joueurs, c’est beaucoup de rendez-vous, beaucoup de discussions, c’est ultra prenant. Mais l’expérience est multipliée par 20 du coup. Aujourd’hui, ça a un peu changé : les grosses agences ont énormément de monde. Je reste indépendant dans ma société mais je travaille en collaboration sur certains contrats avec le cabinet d’avocats Jean-Jacques et Christophe Bertrand, qui sont parmi les meilleurs au monde dans le sport et le football en particulier. Les grosses agences dominent le marché. Les Anglaises, Allemandes, Espagnoles… Tout le monde connaît Mendes ou Raiola, mais derrière ces personnes, il y a des staffs très complets. C’est ce qui a beaucoup évolué par rapport à mon époque.
Les réseaux sociaux sont passés par là, l’image des joueurs est devenue capitale. Comment jugez-vous cette évolution ?
J-M.C. Les droits d’image ont été multipliés par 10, 20 ou 30 depuis mes débuts ! Les réseaux sociaux n’existaient pas… C’est aujourd’hui une grande partie du business. Ça a été une révolution. Un bon agent, qu’il ait 1 ou 25 joueurs, c’est un bon agent. C’est quelqu’un qui va faire les bons contrats au bon endroit au bon moment. C’est quelqu’un de présent pour son joueur, quelqu’un qui va tout donner pour emmener son joueur le plus haut. Il doit permettre l’épanouissement maximum de son joueur. C’est ça le plus important. Avec l’avènement des réseaux, chacun peut donner son avis sur tout. Les joueurs sont très exposés. En permanence, même.. Il faut énormément parler, être fin psychologue, les protéger, leur apprendre à gérer les hauts et les bas.
« J’avais presque honte d’être agent »
Apprendre à gérer son image sur les réseaux sociaux est devenu vital pour les joueurs. Ça vous agace ce nouveau monde du football ?
J-M.C. Tout est différent. Il y a un travail de pédagogie à faire avec les jeunes joueurs. Beaucoup de joueurs, hommes d’affaires, artistes, politiques se sont fait piéger sur les réseaux sociaux. Tout sort vite, tu ne contrôles plus et tu es pris au piège. Ça peut avoir une puissance atomique positive… Mais aussi dans les mauvais côtés. Désormais, les nouvelles générations, comme Mbappé, savent globalement ce qu’il faut faire et dire. Mais il faut absolument que les jeunes soient préparés.
Agent est un métier particulièrement usant. Vous avez d’ailleurs coupé quelques temps des terrains. C’est définitif ?
J-M.C. J’étais fatigué, un peu las. Je me suis écarté environ 2 ans. Je reviens, ça y est. C’est un milieu avec énormément de concurrence. Et les agents ont une presse exécrable. J’avais presque honte d’être agent. L’opinion publique se gargarise de quelques faits sensationnels : une affaire, une embrouille, ça fait parler tout de suite. Un agent qui travaille normalement, ça n’intéresse personne. Donc on se retrouve avec une image extraordinairement mauvaise. Quand tu dis que t’es agent, parfois, ça fait peur. C’est gênant et j’en ai eu un peu marre… Car tout ça conditionne les jeunes joueurs, les parents. Et ils se referment. C’est devenu une foire d’empoigne, avec des agents non licenciés, des avocats, beaucoup de personnes qui veulent une part du gâteau, c’est normal. Sauf qu’il faut respecter les règles du jeu et rendre des comptes à la FFF : les agents licenciés, nous sommes les seuls à devoir rendre des comptes à la Fédération Française de football en transmettant nos mandats nous liant aux joueurs et en déposant un rapport d’activité chaque année, en risquant des sanctions par exemple. Dur, dur de faire le tri pour un jeune joueur et sa famille…
Le milieu est devenu pourri ?
J-M.C. Attention, énormément d’agents sont très professionnels, il n’y a pas que des pourris ! Au contraire, même. Le métier d’agent, dans le football ou ailleurs, c’est une nécessité. C’est un métier vieux comme le monde, utile dans tout secteur. J’ai aussi été agent artistique. J’ai connu plusieurs facettes du métier. Ces dernières années, j’ai eu besoin d’un peu d’air et me suis concentré sur mon travail avec Éric, la production, tout en ayant quelques joueurs en activité. Marvin Martin par exemple…
Vous avez un peu tout connu dans ce milieu. Qu’est-ce qui vous excite encore ?
J-M.C. Regarder des matchs de football ! Ça, oui, j’ai toujours la passion et ça m’éclate. Je n’ai jamais perdu la passion, ni l’adrénaline de la négociation d’un contrat. Mener à bien un contrat, c’est un challenge impressionnant. Que ce soit avec un grand club ou avec un plus modeste. Cette émulation, cet esprit de compétition me manque un peu aujourd’hui. Et c’est pour ça que je me réinvestis à nouveau.
Zone technique
Jean-Marie Cantona
Né le 6 octobre 1962, à Marseille.
Agent licencié FFF depuis 1999
Olympica Sports Management
Geste technique préféré : Le contrôle orienté.
Idoles de jeunesse : Johan Cruyff en football. La gymnaste Nadia Comaneci. Et en tennis, John McEnroe.
Ton match référence : Il y en a plusieurs… Mais celui qui m’a le plus marqué, c’est la finale de FA Cup 1996, entre Manchester et Liverpool à Wembley. Éric marque le but de la victoire !
Thibaud Vézirian. Rédacteur en chef.
Journaliste, présentateur, chroniqueur et producteur… Vous pouvez me retrouver sur La Chaine L’Équipe et sur ma chaine YouTube T.V. Sport.