Ce n’est pas habituel pour Johan Caurant de se mettre en avant. L’ex-défenseur, désormais agent, préfère les actes aux paroles. Il a accepté de venir à notre rencontre pour nous dévoiler sa vision du jeu. Le jeu des agents. Au service des joueurs. L’Italien Roberto Meloni, à Paris depuis 10 ans, l’accompagne. Il est celui avec qui Johan forme un duo complémentaire : celui de représentants français de CT10 Management, l’agence de gestion de carrière de la légende romaine Francesco Totti.
Thibaud Vézirian. Vous travaillez notamment avec deux jeunes joueurs français en plein bourre en ce moment en Ligue 1 : Arnaud Kalimuendo (RC Lens) et Armand Laurienté (FC Lorient). Comment conseille-t-on des jeunes en plein envol ?
Johan Caurant. Les fans de foot ne voient souvent que le résultat final, c’est à dire le match du week-end. Un but, une passe décisive… La face visible de l’iceberg. Nous, on va être vigilant sur tout le reste. On essaye de tout mettre en place pour que le joueur se perfectionne, franchisse des étapes. Les entraînements collectifs, c’est bien. Mais il faut énormément travailler individuellement. Le football, c’est un sport particulier par sa visibilité énorme. Il faut respecter des codes, garder la tête froide. À nous de les partager aux joueurs. On est la face cachée de l’iceberg. Quand je jouais, je n’avais pas forcément compris ça. Si t’es bon, tu joues ? Pas forcément. D’autres éléments entrent en jeu : maîtriser les codes du football, de comportement, de l’image qu’on renvoie, d’entraînement, etc. Si Arnaud Kalimuendo et Armand Laurienté se développent comme vous le constatez aujourd’hui, c’est le fruit d’années de travail, d’objectifs atteints, de sacrifices, c’est leur mérite.
Armand Laurienté vient d’épater la L1 avec un rush de 70 mètres pour l’égalisation lorientaise face à Nice, Arnaud Kalimuendo est le meilleur buteur des 5 grands championnats parmi les joueurs nés au XXIe siècle. Vous vous attendiez à leur ascension fulgurante ?
J.C. Ce sont des compétiteurs impressionnants. C’est un plaisir de les voir évoluer à ce niveau. Chacun ses points forts, chacun sa direction. Ce ne sont pas des surprises pour nous. On sait depuis longtemps ce qu’ils valent. L’été dernier, il y avait beaucoup de sollicitations les concernant. Des choix ont été fait, les objectifs étaient déjà élevés. Aujourd’hui, leurs performances parlent pour nous, et ce n’est que le début.
« Quand tu es prêt, l’âge n’a plus d’importance »
Quand le jeune monégasque Aurélien Tchouaméni déclare que sa « génération est encore plus pressée » que celle d’avant. A-t-il raison ?
J.C. Bien sûr ! Si t’es bon et que tu es pressé, pas de souci. Mais si tu te crois bon et que tu es pressé, là il y a un problème. C’est une question de lucidité. Qui juge que tu es prêt ? Ce n’est pas toi ou ton entourage. C’est le terrain qui va décider. Quand c’est le cas, l’âge n’a plus d’importance. Les jeunes comprennent le football plus vite qu’auparavant. Car ceux qui les encadrent sont de plus en plus performants : de nouveaux métiers sont arrivés, avec des outils, des méthodes et des expertises importantes. Aujourd’hui, beaucoup de joueurs sont prêts plus vite… Le football, c’est une jungle, si tu es mal entouré, tu peux exister un court instant mais pas perdurer. Il faut se rendre compte qu’un joueur peut avoir tout le talent du monde dans ses pieds, si sa tête ne suit pas, il n’y arrivera pas. C’est un devoir, en tant qu’agent, d’aiguiller ses joueurs pour éviter les pièges. Chaque cas est différent et bien spécifique.
Vous avez commencé votre carrière d’agent après avoir été joueur professionnel, défenseur, notamment en Belgique. C’était la suite logique pour vous ?
J.C. J’ai toujours eu cette faculté à mettre en relation les gens, à construire. Par exemple, plus jeune, j’ai présenté un international, champion du monde 2018, à son premier agent. C’est naturel chez moi. Mais c’est vrai qu’au fil de ma carrière, j’ai connu des déceptions. Certains agents ne m’ont pas donné satisfaction. J’ai énormément appris, et comme dans le foot, le plus important, ce sont les choix que l’on effectue, ceux qui conditionnent ta carrière, alors j’ai fait le mien, à 27 ans : devenir agent. J’étais alors en 2e division belge. C’est toujours impressionnant quand Totti donne des conseils »
Vous avez obtenu votre licence en 2018, après plusieurs années en tant que consultant. Qu’est-ce qui vous a convaincu de franchir le pas et de passer cet examen ?
J.C. Je voulais d’abord voir si j’étais compatible avec ce métier-là. Ça ne s’invente pas d’être agent, il faut cette fibre, ça se prépare. En parallèle, j’ai donc terminé ma carrière en N3 au Saint Maur Lusitanos en 2017. Puis j’ai arrêté totalement le football pour passer la licence.
Ce métier d’agent ne permet pas d’avoir une autre activité. C’est à temps plein. Il faut de l’exigence pour le construire. C’est aussi pour ça que j’ai passé la licence. Je ne pouvais pas tenir le discours que j’avais sans l’avoir. L’examen ? C’est beaucoup de travail. Beaucoup de par cœur, des pièges, de la vigilance, de la rigueur.
Aujourd’hui, on juge beaucoup les joueurs sur des données statistiques : expected goals, indices de performance, volumes de course, etc. C’est devenu vital de savoir tout ça pour conseiller un joueur ?
J.C. Une partie de notre métier est de récolter ces données, les analyser et apporter une plus-value à nos joueurs. Mais il n’y a pas que ça. On travaille avec une équipe de professionnels, experts dans leur domaine, pour optimiser la performance : prévention de blessures, nutrition, sommeil, communication, etc. Il n’y a pas que le terrain qui compte, il y a tout l’accompagnement.
Francesco Totti n’est pas agent, mais il a aujourd’hui sa société de scouting CT10. Avec un agent licencié italien, Giovanni Demontis, au sein de la structure. Comment travaillez-vous ensemble ?
J.C. Avec Roberto Meloni, sous sommes les représentants de CT10 en France. Nous travaillons main dans la main. Totti est une légende du foot. Ça ne s’explique pas, c’est son expérience qui parle, son aura. C’est particulier mais très naturel. Pour nos joueurs, c’est toujours très gratifiant quand une légende comme Francesco Totti les conseille. Ce n’est pas de la com ! Les joueurs sont analysés chaque week-end. C’est important d’avoir un retour suite à une performance, un suivis. Les 90 minutes passées sur un terrain, c’est l’image qu’un joueur renvoie au public. Tu es jugé sur ça. Et non pas sur la quantité de travail fournie précédemment. Nous, on met tout en place pour que nos joueurs soient dans les meilleures dispositions le jour J.
Comment on gagne la confiance d’un joueur ? Puisqu’aujourd’hui, on constate trop souvent que le dernier qui a parlé a raison…
J.C. Dans notre travail, on est jugé par nos actes. On a beau avoir le plus beau discours du monde, il faut être factuel. Les actes te définissent. Les contrats oui, c’est bien, c’est la finalité d’une étape de travail. Mais ce qu’on apporte, ça dépasse le simple contrat. Un joueur qui se blesse doit par exemple trouver chez son agent les solutions et les bons conseils. On a un métier d’information, de réseau, d’interactions. Mais il ne faut pas forcer les choses, tout doit être naturel, une confiance doit s’installer. On n’a pas le temps de perdre du temps. Toute l’énergie mise dans le suivi de nos joueurs, à 360°, on ne peut pas la donner si nos joueurs ne sont pas convaincus d’une mission commune.
Zone technique
Johan Caurant
Né le 5 février 1989, à Paris
Agent licencié FFF depuis 2018
Geste technique préféré : La première touche de balle. C’est déterminant. Le premier enchaînement, c’est ce que je regarde, c’est révélateur et parfois magique.
Idoles de jeunesse : Michael Jordan, un extraterrestre.
Ton match référence : La finale France-Brésil 98… Mais aussi le PSG-Bucarest d’août 1997, victoire 5-0 après la défaite sur tapis vert. C’est une remontada ! On regarde le foot pour ce genre d’émotions.
Thibaud Vézirian. Rédacteur en chef.
Journaliste, présentateur, chroniqueur et producteur… Vous pouvez me retrouver sur La Chaine L’Équipe et sur ma chaine YouTube T.V. Sport