
Si vous voulez saisir l’humeur du jour de Karim Djaziri, jetez un œil à son compte Twitter, suivi par près de 22 000 abonnés. Entre 2 tweets où l’agent de joueurs commente l’actualité, il a pris une trentaine de minutes pour répondre à nos questions. Sa carrière, ses rencontres, la génération actuelle, le Lyonnais se livre. Avec passion.
Thibaud Vézirian. Comment a démarré votre carrière d’agent de joueurs ?
Karim Djaziri. Un concours de circonstances. L’histoire commence en 1995, un ami à moi contre qui j’avais joué à Lyon, l’un contre l’autre, me demande de l’accompagner en Angleterre… J’avais fait du droit et je parlais anglais. Je devais négocier son contrat. Mais je n’ai pas l’envie de devenir agent. Je travaille d’abord pour des clubs anglais, du scouting… Jusqu’en 2001. C’est l’époque où le joueur français devenait à la mode… L’arrêt Bosman, le bon Euro 96 des Bleus puis la Coupe du monde 1998. Les Anglais s’ouvrent alors aux joueurs français, Arsène Wenger a d’ailleurs été le pionnier.
Vous passez justement votre licence en 2001. Un bon souvenir ?
K.D. Ce n’était pas très dur à l’époque. Moins difficile qu’aujourd’hui (ironique). J’étais dans la première session où il y avait un examen. Juste avant moi, c’était encore un entretien oral avec un représentant de la Ligue et un représentant de la Fédération. Rien à voir.
« L’envie d’arriver au bout d’une aventure avec quelqu’un en qui je crois énormément »
Alors comment c’était en 2001 ? Comment on s’y prend pour lancer sa carrière d’agent ?
K.D. Un entraîneur m’avait demandé pourquoi je ne me lançais pas dans cette carrière. Je trouvais que c’était un milieu sans foi, ni loi. J’avais une idée fixe si je devenais agent : ne m’occuper que d’un seul joueur. Un joueur en situation d’échec, qui n’avait pas la carrière qu’il mérite : Jean-Claude Darcheville ! Il avait bien démarré puis stagné. Gros potentiel entraperçu en Angleterre mais il n’avait pas réussi. Il était revenu en France, en Ligue 2 à Lorient. Je le récupère là-bas, remplaçant, 17e du championnat…
Vous décidez de redonner confiance à Jean-Claude Darcheville. Comment l’avez-vous convaincu ?
K.D. « Si tu fais les sacrifices que je te demande, je t’aiderais à réaliser tes rêves. Quels sont tes rêves ? » Voilà ce que je lui ai dit. Jean-Claude Darcheville me répond que son rêve de gosse, quand la maîtresse lui avait demandé ce qu’il voulait faire, c’était de devenir « Girondins professionnel » ! Alors quand on a signé là-bas, sur le chemin du retour, il m’a avoué que le jour où je lui ai parlé de sacrifices et de son rêve, il m’avait pris pour un fou ! (rires) Mon objectif d’agent, c’était ça : Arriver au bout d’une aventure avec quelqu’un en qui je crois énormément.
Après Jean-Claude Darcheville, vous avez repéré qui ?
K.D. J’ai toujours dit à Jean-Claude que c’était mon cobaye ! Je ne voulais que lui. Personne d’autre. Alors quand on a réalisé ses rêves, il m’a demandé qui serait mon prochain cobaye… C’était un garçon que j’avais repéré à Rennes : Fred Piquionne. Et Jean-Claude hallucine ! Fred sort avec sa belle-sœur ! J’ai toujours été accompagné de cette bonne étoile… Jean-Claude nous a donc mis en relation, il faisait beaucoup de barbecues chez lui. Fred a ainsi été mon deuxième cobaye.
Votre carrière semble donc extrêmement linéaire. Sans embuche ?
K.D. Mon réseau de clubs et de dirigeants s’est fait petit à petit, je n’avais qu’un joueur. Je n’ai jamais essayé de m’acoquiner à tout prix, avec beaucoup de gens. Le fait de m’être focalisé à chaque fois sur un joueur, ça m’a crédibilisé
Comment vous expliquez cette image nébuleuse, parfois, des agents de joueurs ?
K.D. C’est le fantasme des agents. Quand ce ne sont pas les agents, ce sont les joueurs. C’est vrai que c’est un métier où tu vas gagner beaucoup plus d’argent qu’un mec brillant comme un avocat. Beaucoup n’ont pas la formation équivalente à celle d’un avocat et vont pourtant gagné 10 fois plus…
« Le moteur, ce n’est pas l’argent »
Après Fred Piquionne, vous présentez un certain Karim Benzema au directeur sportif de l’AS Saint Étienne de l’époque, Damien Comolli. Comment ça s’est passé ?
K.D. Je m’en souviendrai toujours. Karim a 15 ans, nous sommes à Saint Étienne, je souhaite lui montrer tout l’envers du décor du football : les clubs, l’entraînement, l’exigence. Fred (Piquionne) et Bafé Gomis s’en souviennent aussi, ils étaient là. Je dis alors à Damien Comolli : « Je te présente le futur meilleur attaquant de l’histoire du football français ». (rires) Il me répond : « Arrête, vous êtes tous pareil les agents ! » Karim n’avait alors pas de contrat à l’OL… 2 ans plus tard, Damien s’en est mordu les doigts.
Avec vous, on a l’impression que tout se transforme en or ?
K.D. Ce n’est pas vraiment ça. Quand je rencontre des gens, j’essaye de voir et d’analyser où ils veulent aller. Pour certains, c’est « gagner des millions et faire des photos sur Insta ». Avant, c’était « acheter une Ferrari ». Je me dis qu’on n’arrivera à rien… Là, Johann Lepenant à Caen. Tu rencontres ses parents, tu rencontres l’enfant, tu lui poses ces questions-là. Tu sens tout de suite la passion. Il te parle de jeu, de clubs, pas d’argent, ni de voiture ou de yacht. L’enfant et l’entourage doivent être tous animés par la passion. D’ailleurs, Jo va déjà prendre des cours d’anglais. Car je lui ai fait comprendre qu’il fallait toujours se perfectionner dans d’autres domaines. Se préparer pour la suite. Un joueur doit être prêt à réaliser les efforts. Le moteur, ce n’est pas l’argent !
Quelles sont les qualités qui permettent de tomber sur des bons joueurs ? On a l’impression que vous visez toujours juste.
K.D. Je sens bien les gens… J’arrive à croire plus en mon joueur que lui ne croit en lui. Ça va lui conférer une confiance particulière. C’est ça la passion, c’est ça le foot. À force de travail, il se rend compte qu’il arrive à faire les choses dont je lui avais parlé. Un joueur, je regarde même ses entraînements. Je regarde mon joueur, pas le match. Un joueur, il doit séparer l’embrouille sur un terrain, donc ne pas foncer dans l’embrouille. Il doit célébrer le but du coéquipier, ne pas bouder. Ce sont des attitudes additionnées qui font de toi un grand joueur. Le talent te permet de devenir professionnel. Mais une fois que t’as signé pro, il faut du travail pour durer. Impossible de confirmer s’ils ne se font pas mal. Je leur dis : « Si tu cours après l’argent, t’auras rien. Si tu cours après la reconnaissance, t’auras tout. » Quand tout le monde dira que t’es un bon joueur, alors tu auras l’argent. Ça va avec.
Les jeunes gagnent pourtant aujourd’hui des sommes colossales…
K.D. Avec les premiers contrats professionnels, beaucoup de jeunes gagnent des sommes hallucinantes. 20 000, 30 000 ou 40 000 euros par mois à 17 ans. Le plus dur commence. Car ce contrat dure 3 ans. Et si tu ne confirmes pas, tu retombes très vite. Attention.
« Frérot, frérot, frérot… »
Justement, Wylan Cyprien a connu une forte ascension avant de subir une rupture des ligaments croisés en 2017. Qu’est-ce qu’on dit à son joueur qui vient de se blesser pour une longue durée ?
K.D. L’agent est le frère, le confident, le psychologue, le conseiller. Tout en même temps. C’est la personne qui doit lui apporter les bases, de la psychologie pour le rassurer. Parfois la vérité en face, aussi. Quand arrive une grave blessure, je leur ai toujours dit : « C’est maintenant que tu vois les vrais amis… » Les premiers mois, tu as beaucoup de messages. Des « frérot, frérot, frérot »… Ensuite, tu pourras compter les messages sur les doigts de la main : Père, mère, ami d’enfance. À toi de faire le tri et de positiver. Plus tu prépares la personne au scénario futur, plus elle va éviter les pièges. Une blessure est aussi l’occasion de faire d’autres choses qu’il ne faisait pas, ou pas assez. Il faut s’épanouir en tant qu’homme pour s’épanouir en tant que footballeur. Mais tu ne peux pas faire un champion sans tête…
Il faut être intelligent pour jouer au football, c’est Paul Lasne (Brest) qui en parlait récemment dans France Football. Vous confirmez ?
K.D. Pour être un grand champion, il faut prendre les bonnes décisions pendant les matchs et en dehors des matchs. T’es obligé d’avoir un bon bagage intellectuel. Un mec qui n’est pas un minimum intelligent n’y arrivera pas. Les footballeurs, on les a préservé à fond et on les lance dans la vie d’adulte, avec de grosses responsabilités, dès l’âge de 18 ans. Tu gagnes 30 000 euros, tu as toute ta famille à charge, t’as une voiture… Dans la vie normale, c’est rarement ça.
« On est arrivé au maximum de l’exigence du professionnalisme du football »
Après cette saison terrible en termes économiques et émotionnelles, pensez-vous que le football repartira de plus belle ?
K.D. J’ai l’impression qu’on a atteint le sommet de la bulle. En 1970, c’était l’apogée de l’amateurisme. Puis ça s’est professionnalisé petit à petit. Ça s’est accéléré, puis est venue l’apogée du professionnalisme dans les années 90. Les gamins nés dans la fin des années 80, début des années 90, c’est une génération qui a porté le foot sur ces 20 dernières années : Messi, Cristiano, Benzema, Lewandowski, Ibrahimovic, Rooney, Aguero… On avait abondance de biens ! Ces mecs-là sont au summum de la pratique de leur métier. Au niveau nutrition, médical, technique, outils de travail… Et en réalité, ça a caché un truc : il n’y a personne derrière ! Aujourd’hui, t’as pas forcément 25 joueurs dans la même cour. À part Mbappé, Haaland…
Zlatan est titulaire à l’AC Milan, il va avoir 40 ans. Qui l’eut cru ? On est arrivé au maximum de l’exigence du professionnalisme du football. Aujourd’hui, les jeunes n’ont plus forcément la soif de gagner et l’exigence de la génération précédente. Beaucoup de grigris, de joueurs YouTube. Ils préfèrent parfois le virtuel au réel. J’ai peur qu’on connaisse un creux… Peut-être que les gamins d’aujourd’hui ont plus baigné dans les consoles que dans la rue. Les joueurs de 35-40 ans, eux, ont débuté dans la rue non stop.
Zone technique
Karim Djaziri
Né le 8 janvier 1971, à Lyon
Agent licencié FFF depuis 2001
Geste technique préféré : Le contrôle de balle !
Idoles de jeunesse : Carl Lewis (athlétisme), Michel Platini, Diego Maradona (football), Sergueï Bubka (saut à la perche), Björn Borg (tennis) et Bernard Hinault (cyclisme).
Ton match historique : La demi-finale de Coupe du monde 1982, France-Allemagne à Séville. Dans le football mondial, la France n’existait pas vraiment avant ce match légendaire…
Thibaud Vézirian. Rédacteur en chef.
Journaliste, présentateur, chroniqueur et producteur… Vous pouvez me retrouver sur La Chaine L’Équipe, CNews et sur ma chaine YouTube T.V. Sport.