
Longtemps au contact des sportifs pour la marque Puma, où il « construisait des histoires entre la marque et les athlètes », Florent Carisio travaille à son compte depuis 5 ans. L’envie de franchir un nouveau palier et de se placer désormais du côté des sportifs. Objectif : aider des athlètes comme Eugénie Le Sommer, Olivier Giroud ou Luc Abalo (handball) à retirer des revenus complémentaires de leur image.
Thibaud Vézirian. Vous conseillez les sportifs pour développer leur image et la valoriser auprès des marques. C’est un travail qu’il faut faire main dans la main avec les agents sportifs ?
Florent Carisio. Nous formons un trio. L’agent sportif tient un rôle très important dans la vie et la carrière d’un athlète. Nous sommes en contact régulier. Je suis obligé de connaître l’évolution sportive du joueur : s’il y a un changement de club, un problème avec le coach ou des coéquipiers. C’est très important d’être aligné, pour être le plus cohérent possible. Certains agents sportifs veulent prendre part à ces parties-là. D’autres laissent carte blanche au sportif et à moi. Ça dépend vraiment, c’est très aléatoire.
Vous avez parfois des divergences fortes ?
F.C. Il peut y avoir des explications. Ça existe. Mais lorsque l’agent sportif et le conseiller en image connaissent bien l’athlète, c’est en général assez fluide. On est assez d’accord sur ce qu’il faut faire. Pendant des négociations pures et dures, ça peut créer des divergences, mais dans le projet en lui-même, c’est rare.
Vous collaborez notamment avec Olivier Giroud. Mettre en avant sa foi en Jésus, c’est votre idée ?
F.C. Je n’ai pas du tout pris part à ça. Mais c’est une vraie volonté d’Olivier depuis longtemps. Je le connais depuis que je travaillais chez Puma et il m’arrive de lui apporter des projets, comme des livres de jeunesse récemment. Mon job, c’est de créer les histoires les plus intéressantes et les plus longues possibles entre une marque et un athlète. C’est très important de coller à la personnalité de la marque et du sportif. Donc de bien connaître les sportifs. Pas uniquement le volet performance. Mais ce qui se passe aussi en dehors des terrains. C’est une vraie relation de confiance, un lien fort. C’est ma manière de travailler. Il faut une cohérence, que ce soit légitime et naturel pour que ça dure.
Justement, Antoine Griezmann vient de rompre son contrat avec Huawei. Il ne se sentait plus en phase avec cette marque. Comment on prend ce type de décision ?
F.C. C’est très sensé, tout simplement. Le fait que Huawei soit impliqué dans un système de reconnaissance faciale pour détecter les personnes Ouïghours, c’est quelque chose de tragique et dramatique. Les sportifs ont une voix importante, qui porte plus que d’autres. Ça permet à une plus large partie de la population, pas toujours concernée par l’actualité, de pouvoir être touchée. Je ne sais pas comment ça s’est passé pour prendre cette décision, mais je lui aurais conseillé la même chose. Il s’agit de frapper les consciences. Bravo, c’est très courageux et plein de bon sens. Il est allé au-delà du très gros contrat.
« Le Sommer et Giroud se ressemblent beaucoup en terme de personnalité »
Ça semble être un travail de tous les instants, avec une mince frontière entre relations professionnelles et personnelles. Vous travaillez avec combien de sportifs ?
F.C. Je m’attache à passer beaucoup de temps avec les athlètes avec qui je travaille. Ce temps-là n’est pas extensible. En effet, si tu veux bien faire ce job-là, tu ne peux pas te permettre de collaborer avec trop de monde. Depuis ses débuts, je travaille avec Eugénie Le Sommer (NDLR : footballeuse internationale, attaquante à l’Olympique Lyonnais). On s’est donné une feuille de route, que l’on s’attache à développer et à remplir au fur et à mesure. Toujours côté football, j’ai aussi pu réaliser des choses avec Olivier Giroud. Ils sont ambassadeurs tous les deux de livres de jeunesse. Les deux numéros 9 de l’Équipe de France se ressemblent beaucoup en terme de personnalité, c’est super. Ils ont une approche assez similaire du monde du foot, du sport et de la société en général. Tout s’est fait assez naturellement. Ensuite, je travaille aussi avec le handballeur Luc Abalo, pour ses performances mais aussi son côté artistique, c’est un fabuleux peintre. À côté de ça, je collabore aussi avec pas mal de joueurs du XV de France. La Coupe du monde arrive bientôt. Enfin, je travaille avec une athlète individuelle : Qualifiée pour les JO de Tokyo, Julia Chanourdie fait de l’escalade, c’est une formidable ambassadrice de son sport. Avec plein de valeurs, notamment axées sur la nature et l’environnement. Ça me plait beaucoup de l’accompagner.
« Rechercher la personnalité de l’homme derrière l’athlète »
Les agents sportifs nous parlent souvent de leur job de « super nounou » avec certains footballeurs. Vous, c’est quoi votre relation avec eux ?
F.C. Il s’agit de maximiser leur visibilité, sans tricher, sans inventer de personnage. Je dois donc très bien connaître les personnes avec qui je travaille. Mon but, c’est de rechercher vraiment la personnalité de l’homme derrière l’athlète. Et ça fonctionne bien, car de plus en plus, les marques veulent s’approprier des valeurs, en plus de s’approprier des performances. La finalité de mon job, c’est que l’athlète puisse retirer des revenus complémentaires de son image. Il y a donc un travail pointu de recherche de partenaires. Tous les athlètes de haut niveau ont une image, mais certains la mettent plus ou moins bien en avant.
Tout part donc de la personnalité de l’athlète. On veut du naturel mais tout semble très travaillé…
F.C. Il ne faut pas leur faire dire des choses qu’il ou elle ne se sent pas capable de dire. Ce serait malvenu et peu naturel. Quelqu’un qui n’est pas à l’aise avec un sujet, ça se sent tout de suite. On n’est pas là pour forcer les traits. Tout le monde n’est pas concerné par tous les sujets.
Quels sont les différents moyens que vous utilisez pour mettre en avant la personnalité de vos athlètes ? D’abord les réseaux sociaux ?
F.C. Les réseaux sociaux sont effectivement un levier. Ils sont une vitrine importante pour eux. Les marques sont très intéressées par ça. Et puis, il y a le volet média plus traditionnel. Très important aussi. Il y a cette capacité de l’athlète à être présent et à parler de sujets forts. Eugénie Le Sommer est par exemple une voix importante du football féminin et du sport féminin en général. Une sorte de porte-parole.
« Il faut expliquer ce qui est bon et pas bon à dire, ou comment le dire »
Justement, quand Eugénie Le Sommer prend la parole au sujet des soubresauts actuels de l’Équipe de France de Corinne Diacre, c’est vous qui la conseillez ?
F.C. C’est son choix, avant tout. Ce qui est super et très intéressant avec Eugénie, c’est qu’elle a la tête bien faite. Et elle sait de quoi elle veut et elle peut parler. Naturellement, elle se pose les bonnes questions. Ensuite, oui, on en parle ensemble. Une prise de parole est étudiée, préparée. D’autres sportifs doivent être plus guidés : il faut expliquer ce qui est bon et pas bon à dire, ou comment le dire.
Beaucoup d’agents sportifs s’orientent vers le football féminin. Vous qui connaissez bien les marques, c’est un marché toujours en pleine expansion ?
F.C. La Coupe du monde en France a été un moment très important pour le football féminin. On est toujours en phase ascendante : la médiatisation est importante. Eugénie est une figure du foot féminin donc elle est très demandée, ce qui fait que mon œil est peut-être un peu biaisé. Il s’est vraiment passé quelque chose pendant cette Coupe du monde : les stades étaient pleins -ça fait plaisir de dire ça à l’heure actuelle-, les gens étaient heureux… Les JO de Paris 2024 seront aussi un moment très attendu pour le football féminin.
« Tout n’est pas bon à montrer »
Les footballeurs, eux, semblent toujours très attractifs. Est-ce une réalité ?
F.C. Le football est un univers particulier. Tous les joueurs ont un volet image important. Le partenariat le plus naturel est le contrat équipementier. Mais après ça, il n’y a qu’un petit nombre de joueurs qui peuvent développer d’autres projets conséquents. Ça dépend beaucoup de leur notoriété : le club, les performances, le palmarès, etc. Au final, il n’y a qu’un petit groupe de joueurs internationaux qui bénéficient de ces avantages-là : Antoine Griezmann, Paul Pogba, Kylian Mbappé, etc. Eux peuvent développer des partenariats autres que sportifs. Ça permet aussi aux autres athlètes d’autres sports d’affirmer autre chose, une autre histoire, de délivrer un autre message. Les JO de Paris 2024 vont notamment permettre ça.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune football pour développer son image ?
F.C. Il faut d’abord t’attacher à être performant sur le terrain. Et à trouver une cohérence dans ta carrière, ton parcours sportif. C’est compliqué de dire à un jeune joueur de ne pas être sur les réseaux sociaux aujourd’hui. Mais attention aux pièges : tout est scruté. Il faut donc le mettre en garde. Et ce qui existe sur les réseaux reste longtemps. Attention aussi aux prises de parole. Il y a donc des mises en garde à effectuer. C’est un formidable outil pour mettre en avant de manière positive un athlète. En revanche, ça peut être très dangereux. Ne pas vouloir à tout prix tout filmer, tout capturer, tout poster… Tout n’est pas bon à montrer. Les directeurs sportifs font de plus en plus attention à tout ça.
Zone technique
Florent Carisio
Né le 22 juin 1979, à Rodez (Aveyron)
Conseiller en communication et marketing
Geste technique préféré : Le joli tacle défensif, en pleine course, celui où tu bloques ta cheville, tu retiens le ballon et tu repars avec.
Idoles de jeunesse : Michael Jordan, j’ai grandi avec la Dream Team. Roger Federer, très inspirant sur qui il peut être et ce qu’il a réalisé. Et enfin, pas très original : Zinedine Zidane. Des étoiles dans les yeux. On a eu la chance de vivre les épopées Zidane, comme nos parents ont vécu au rythme de Platini.
Ton match préféré : Le 12 juillet 1998, forcément ! J’ai suivi à fond cette Coupe du monde. Et puis aussi, le retournement de situation en finale de Ligue des Champions 1998 : Manchester renverse le Bayern Munich grâce à Sheringham et Solskjaer, dans les arrêts de jeu.
Thibaud Vézirian. Rédacteur en chef.
Journaliste, présentateur, chroniqueur et producteur… Vous pouvez me retrouver sur La Chaine L’Équipe, CNews et sur ma chaine YouTube T.V. Sport.