Alfonso Stellittano a toujours voulu travailler dans le milieu du football. Mais comment faire ? Bardé de diplômes – un Master en management du sport et un Master en Ressources Humaines, le Français d’origine italienne est parti à Miami (États-Unis), a observé le fonctionnement des ligues fermées. Fort de son expérience, il est revenu pour obtenir sa licence d’agent FFF. Doté d’un sens du contact très naturel, le voilà lancé à toute vitesse dans le grand bain.
Thibaud Vézirian. Vous avez été manager des boutiques du Paris-Saint Germain, qu’est-ce qui vous a fait quitter ce job pour devenir agent ?
Alfonso Stellittano. Le foot, c’est toute ma vie. Du jour au lendemain, j’ai décidé de quitter le PSG, où tout se passait très bien. Je voulais être auprès des sportifs. Ma première expérience d’agent est arrivée vite : Un membre de mon staff, formé à l’INF Clairefontaine, passé par le centre de formation du PSG, a réussi à signer son premier contrat professionnel au FC Nantes. Je venais d’avoir ma licence, après une année à réviser sur les bancs de l’EAJF (NDRL : l’école des agents de joueurs de football).
C’est si dur que ça d’obtenir cette licence d’agent ?
A.S. Quand tu fais des études et que tu as l’habitude de réviser, de 9h à 22h pendant 10 mois… Je ne dis pas que c’est facile. Mais tu as cette mécanique qui te permet d’emmagasiner des informations et retranscrire sur papier. La licence reste très difficile à obtenir, il faut s’investir à fond.
Vous avez donc démarré par ce contrat au FC Nantes, et ensuite, quel a été votre plan pour vous lancer dans le métier ?
A.S. Je passe ma vie à aller voir des matchs ! À rencontrer du monde, à échanger. Je connais les joueurs par cœur. Je suis italien, je parle 5 langues, ça aide pour les contacts. J’ai donc assez vite réussi à ramener des jeunes joueurs au Milan AC et à l’Atalanta Bergame. J’ai récupéré assez rapidement un jeune de l’Équipe de France, qui est devenu un ami, puis d’autres, etc. J’ai envoyé Naïs Djouahra de l’AS Saint Étienne à la Real Sociedad, Dylan Chambost à Troyes, Matthieu Huard lui s’épanouit à Ajaccio. J’ai aussi fait signer le défenseur de Tours, Yann Kembo, au RC Lens, ou encore le premier contrat professionnel de Janis Antiste au Toulouse Football Club, lorsque je m’occupais encore de ses intérêts. Pour ne citer qu’eux…
« J’estime que pour proposer un joueur quelque part, il faut le connaître à 100% »
On sent une appétence particulière pour travailler avec les clubs étrangers. C’est vrai ?
A.S. J’ai le sens du contact, je parle plusieurs langues, ça permet de discuter naturellement avec les clubs étrangers. Mais rien n’est facile, c’est même très difficile d’obtenir de la crédibilité. J’ai déjà fait 600 km aller et 600 km retour pour simplement parler 5 minutes avec un joueur. Ça arrive et il faut parfois en passer par-là. Je ne compte pas mon temps, je vais partout où il faut, je multiplie les rendez-vous. Mais pour vivre de ma passion, il faut être professionnel. Donc j’essaye d’être carré. Dans l’accompagnement de mes joueurs, je ne laisse rien au hasard. Ça me permet d’avoir un bon bouche-à-oreille. Les clubs, je ne les trompe pas, et forcément, ils m’écoutent.
Vous avez ramené des jeunes joueurs au Milan AC, votre club de cœur, ça vous a fait quoi ?
A.S. Quand j’ai pu entrer en contact avec le Milan AC, mon club de cœur, visiter le centre d’entraînement Milanello avec un joueur, ça m’a fait quelque chose. Je n’ai pas pu montrer ma joie à Paolo Maldini, le directeur sportif, il faut rester pro. Mais c’était un moment fort. Grande classe. Mon idole. Une vraie fierté. Petit à petit, j’ai noué de vraies relations avec mes joueurs et avec les clubs. Je suis un facilitateur pour les joueurs et pour les clubs. J’essaye d’être très proche des joueurs et très proche des clubs. Eric Olhats, recruteur pour l’Atletico de Madrid, est devenu un ami. Paul Marchionni, recruteur pour Bordeaux ou l’AS Monaco, est également un mentor pour moi.
Existe-t-il une façon type d’entrer en contact avec un joueur ? Il faut arriver avec un club à lui proposer ? C’est ce que l’on entend parfois…
A.S. Je ne fonctionne pas comme ça. Chacun a sa façon de faire. J’estime que pour proposer un joueur quelque part, il faut le connaître à 100%. Ses défauts, ses systèmes de jeu favoris, ses caractéristiques mentales. J’apprends à connaître le joueur et ensuite, je vois où il pourrait évoluer. Je suis persuadé que certains clubs correspondent à certains joueurs et pas à d’autres. Ça dépend de l’environnement. Je préfère accompagner un joueur de A à Z pour essayer de lui faire franchir les paliers.
Quand vous travaillez avec trop de joueurs, on comprend l’appât du gain, mais n’est-ce pas un peu difficile à gérer ?
A.S. Je suis une PME à taille humaine. Je travaille avec une quinzaine de joueurs, en comptant les jeunes et les pros. Je voulais au départ m’occuper d’une trentaine de joueurs, c’est en fait beaucoup trop. Avec la Covid-19, les semaines ont changé, c’est beaucoup de FaceTime, du Zoom… On a perdu le côté relationnel que j’aime tant. Je préfère être vraiment en contact avec les gens, créer du lien. Téléphone, mails, données de scouting, c’est moins sympa. Mais ça n’arrête jamais. On a jamais de repos, c’est 12 mois sur 12. Et même quand on prend des vacances, on pense à notre activité.
« Les clubs vont limiter leurs choix, donc valoriser la formation »
Vous voyagez à l’étranger, vous voyez beaucoup de matchs, vous connaissez les joueurs et dirigeants… Bref, vous êtes aux premières loges pour analyser les évolutions du football. Qu’est-ce qui va changer ces prochaines années ?
A.S. Je crois que les clubs vont essayer de mieux cerner les profils désirés. Les erreurs de casting auront une incidence réelle, voire dramatique, sur le budget d’un club. Ils auront moins le droit à l’erreur. Ils devront encore plus approfondir l’étude des profils. Il faudra être encore plus réactif et rigoureux sur les profils qu’on propose aux clubs. Les clubs vont limiter leurs choix. Et ils vont aussi valoriser la formation. Ça peut être quelque de positif pour les jeunes. Avoir une base de joueurs d’expérience, aptes à encadrer les jeunes pousses.
Vous avez travaillé sur les transferts de jeunes joueurs français vers l’étranger. C’est une volonté des joueurs de partir si tôt ?
A.S. Parlons de Naïs Djouahra, 21 ans. Je l’ai aidé à signer à la Real Sociedad. Il était à Saint Étienne, dans une situation qu’on peut juger de « pas dingue ». Ça se passait bien, mais il pouvait espérer mieux. J’ai réussi à le faire signer professionnel en Espagne. Il s’épanouit pleinement là-bas, il a signé dans l’un des meilleurs clubs espagnols et le cadre de vie est idéal. il a du génie en lui, c’est un top player, il a tout pour pouvoir faire une grosse carrière. Il a déjà prolongé 2 fois. Je ne fais pas que des deals à l’étranger, c’est pourtant un cas de figure similaire : Dylan Chambost à Troyes. Il était en réserve à Saint Étienne, il ne pouvait pas s’exprimer avec les professionnels. Aujourd’hui, il fait partie des top joueurs de Ligue 2, il a énormément de talent. C’est un point de référence dans le système de son coach, Laurent Battles. Pareil, à Rennes, Matthieu Huard était un élément important de la réserve, souvent avec les professionnels, et pourtant, il s’est retrouvé sans club. Je lui ai permis de rebondir à Ajaccio et il fait partie des meilleurs latéraux de Ligue 2 ! Il a même encore une énorme marge de progression. Ce qui tue notre travail aujourd’hui, c’est que certains pensent que le premier contrat pro doit être celui le plus lucratif possible. Chacun fait comme il veut, mais je pense qu’il faut un juste équilibre. Je préfère regarder sur le long terme.
« Aller à tout prix dans un grand club sans être prêt, c’est une erreur »
Un bon agent, c’est donc celui qui trouve le meilleur terrain d’expression pour son joueur ?
A.S. Ramener un joueur d’un point A à un point B, il faut du réseau mais ce n’est pas un problème en soi. La plus-value qu’on apporte, c’est d’avoir une analyse pointue du système, de l’environnement. Regardez Zidane, au-delà de son talent unique, dans son parcours, il y a eu énormément d’intelligence : Cannes, Bordeaux, Juventus, Real Madrid. C’est une évolution de carrière exceptionnelle, des choix fabuleux, linéaires. Il faut savoir dire à ses joueurs qu’ils ne sont pas prêts à passer à l’étape suivante. Aller à tout prix dans un grand club sans être prêt, c’est une erreur. Je ne travaille pas pour dire aux joueurs ce qu’ils veulent entendre. Avec Yann Kembo, on est parti à Lens. Énormément de grands clubs français et européens le voulaient vraiment. Mais Lens, c’est un grand club français, une institution reconnue, dans un cadre familial : le choix le plus propice à son développement.
Zone technique
Alfonso Stellittano
Né le 21 juin 1985, à Paris
Agent licencié FFF
Geste technique préféré : Le tacle ! Parce que souvent, on parle de dribbles, de sombrero, etc. Je préfère regarder un vrai 0-0 avec des actions, où ça combat, plutôt qu’un 5-0 à sens unique.
Idoles de jeunesse : Paolo Maldini.
Ton match préféré : Le Milan-Barça 1994, la finale de Ligue des Champions, un 4-0 à Athènes ! Desailly, Savicevic, Massaro… Et aussi la Coupe du monde 1994 que j’avais sur-kiffée !
Thibaud Vézirian. Rédacteur en chef.
Journaliste, présentateur, chroniqueur et producteur… Vous pouvez me retrouver sur La Chaine L’Équipe, CNews et sur ma chaine YouTube T.V. Sport.