De Chambéry-le-Haut à Buenos Aires. Un parcours singulier. Un amour fou pour l’Amérique latine, dans des pays où le football est une religion. Olivier Gotteland est devenu agent sur le tard, un peu par hasard, par des contacts familiaux. Aujourd’hui, il nous raconte sa vie de dénicheurs de talents sud-américains.
Thibaud Vézirian. Vous êtes aujourd’hui bien en place en Amérique latine, réputé pour vos connaissances du football sud-américain et votre grand réseau, comment tout a débuté pour vous ?
Olivier Gotteland. À un tournant de ma vie professionnelle, j’ai voulu revenir à mes premiers amours : le football et m’occuper de sportifs. La vie a fait que j’ai eu dans ma belle-famille des gens en place dans le football. Notamment un cousin par alliance, joueur professionnel à l’Unión de Santa Fe. Et lui aussi voulait se diriger vers la gestion de carrière de jeunes sportifs. Le projet s’est formé. On m’a ensuite présenté un avocat, qui gère la partie contractuelle dans notre structure. Mon Espagnol est à couper au couteau (il rit)… Donc lui maîtrise tous les termes locaux spécifiques.
Vous avez obtenu une licence d’agent ?
O.G. J’ai passé mes diplômes en Argentine, oui. C’est une licence, c’est encadré, exactement comme en France. J’étais un peu vu comme un ovni… Pourquoi un Français passerait ses diplômes en Argentine ?
« J’ai eu cette chance de brûler les étapes »
Comment avez-vous réalisé vos débuts en tant qu’agent ? Comment se lance-t-on dans l’aventure à l’étranger ?
O.G. Tu ne peux pas te lancer au hasard. Encore plus dans un pays qui n’est pas le tien. Je ne veux pas vendre du rêve. Il faut déjà avoir un réseau. Grâce à mon cousin et à ma belle-famille, tout est allé très vite. Un dirigeant de l’Union de Santa Fe m’a mis le pied à l’étrier. J’ai connu Nicolas Freitas, joueur passé par la Belgique. Puis tout s’est mis en place. Pascual De Negri, un ex-dirigeant d’Huracan, en Argentine, m’a pris sous son aile. Il m’a présenté aux bonnes personnes et notamment un dirigeant d’un club de 3e division… Chiqui Tapia. Il est désormais président de l’association de football argentine (AFA) ! J’ai eu cette chance de brûler les étapes et de connaître du beau monde très très rapidement. Je suis parti de rien.
« J’ai voulu aller chasser sur d’autres terres »
C’est en Argentine qu’il faut aller pour trouver des jeunes talents sud-américains ?
O.G. Je vais partout en Amérique du sud, pas uniquement en Argentine. J’ai voulu aller chasser sur d’autres terres : Chili, Colombie, Uruguay, etc. J’aime ce côté aventurier, dénicheur de pépites. Quand tu es pro, tu as déjà un agent. Nous, on va les chercher avant. On découvre des talents. On va voir les joueurs en réserve et dans les catégories jeunes. Je me suis très vite rendu compte qu’il fallait voyager. Et c’était mon envie. Un de mes premiers joueurs était chilien, un international espoir, Ronnie Fernandez. Quand je parle d’eux en France, ils ne connaissent pas. La culture du football français est différente du Portugal ou de l’Espagne vis à vis des joueurs sud-américains. Je suis un Français basé en Amérique du sud et j’essaye de faire connaître le football sud-américain.
Quand vous voyagez en Colombie, au Chili ou en Uruguay, on vous ouvre les portes, à vous « le Français » ?
O.G. C’est un esprit différent de la France. En Amérique du sud, on apprend d’abord à te connaître. Et après, on te jugera. En France, et notamment dans le foot, c’est un peu le contraire… Parfois quand je présentais une pépite sud-américaine à un club français -certes, il avait à peine quelques minutes en première division, il allait éclore-, on m’envoyait balader. Et c’était cynique ! Je ne veux pas faire de généralités, mais c’est arrivé souvent. C’est du style : « C’est trop cher » ou « s’il n’est pas très connu en Argentine, comment voulez-vous qu’il le soit en France ? »…
On sent une certaine frustration… Il est difficile de placer des joueurs sud-américains en France ?
O.G. Je reste un peu amer parce que je pense qu’en Ligue 1, je pourrais vraiment placer de bons jeunes joueurs, partager ce que je vois. J’ai été confronté à un certain manque de confiance en France, oui. Mais ça ne m’a pas empêché de travailler ailleurs avec de grands clubs, comme le Sporting Portugal. J’ai aussi repéré Lo Celso et je l’ai proposé au PSG. Sans succès. Plus tard, ça s’est fait avec le PSG d’Olivier Létang.. J’ai aussi proposé Lautaro Martínez à un très gros club français, on m’a ri au nez. Chez les coachs, j’ai essayé Mario Yepes à Nice, Monaco, et aussi pour l’équipe réserve du PSG.
« Le championnat mexicain est très intéressant financièrement »
C’est souvent arrivé : Javier Pastore non conservé à St Étienne, David Trezeguet au PSG… Des exemples de ce type, il en existe plein. C’est un problème français ?
O.G. On pourrait sentir une frustration chez moi, mais j’admets que l’erreur d’analyse est humaine. Chaque club a son directeur sportif et chacun est libre de donner sa propre analyse. Pour Lo Celso, je l’avais proposé plus de 6 mois avant à un autre club que le PSG. Dommage. Ce fut une des plus belles recrues sud-américaines de ces dernières années en Ligue 1. Malheureusement, il n’a pas totalement percé en France. C’est un vrai numéro 10, un peu à l’ancienne, et il n’a jamais été positionné comme ça au PSG. Je l’avais dit à l’époque, ce gamin a du Zidane en lui !
Et Lautaro Martínez, qui l’a refusé ?
O.G. J’avais demandé l’autorisation de proposer le joueur en Ligue 1. Beaucoup d’agents le font, nous, on avait fait les choses comme il faut. Je ne dirais pas le nom du club, peu importe. En tout cas, nos recommandations n’ont pas été suivies du tout. C’était environ 10M de dollars à l’époque. Trop cher… Il est parti plus tard pour 15M à l’Inter. L’Italie a un réseau très développé en Amérique du sud, ils se trompent rarement. Les scouts des clubs français ne sont pas nombreux en Amérique du sud, même en 2021. Dernièrement, j’ai travaillé avec Carlos Salcedo, finaliste de la Coupe du monde des clubs avec les Tigres face au Bayern Munich cette semaine. Il m’avait contacté pour venir en Ligue 1, et là aussi, ça ne s’est pas fait. Par la force des choses, j’ai élargi mes horizons. Je travaille désormais aussi avec la MLS, l’Amérique centrale, le Mexique, etc. Le championnat mexicain est très intéressant financièrement. Ce sont des salaires de Ligue 1, largement. Ce championnat attire des pépites argentines, brésiliennes ou colombiennes. Au lieu de venir sur le banc en Espagne, ils vont jouer titulaire au Mexique.
« En Argentine, l’agent à une responsabilité supplémentaire vis à vis de son joueur »
Vous êtes basé à Buenos Aires. Quelles sont les spécificités du marché argentin ?
O.G. Quand tu es agent en Argentine, c’est un peu différent par rapport à la France. Tu as une responsabilité supplémentaire vis à vis de ton joueur. Par exemple, ça m’est arrivé d’héberger un jeune pendant une semaine. Il habitait à l’autre bout de Buenos Aires et il fallait l’aider. Généralement, tu achètes aussi les chaussures de foot de ton joueur. Tu n’es pas le papa, mais tu es une sorte de parrain. Tu peux être amené à payer les aller-retours en bus, etc. L’agent possède aussi ce rôle-là.
Qu’est-ce que vous conseilleriez à un jeune agent de joueur qui se lance dans le métier ?
O.G. Dans un premier temps, c’est un vrai travail relationnel. De l’ombre. Il faut se faire connaître, se proposer, se présenter. C’est bien d’être affranchi par quelqu’un de connu, ça aide. Je ne vais pas dire à tous les Français qui aiment le football sud-américain de venir ici, ils vont se casser les dents. Ce n’est pas le monde des bisounours, ce sera compliqué d’entrer dans le milieu. Moi, j’ai bénéficié de circonstances spéciales.
Zone technique
Olivier Gotteland
Né le 16 novembre 1973, à Chambéry
Agent basé à Buenos Aires (Argentine)
Geste technique préféré : Le petit pont.
Idoles de jeunesse : Michel Platini puis un peu plus tard, Eric Cantona.
Ton match préféré : France-Brésil 1998, j’étais en France, à Nice. Je n’étais pas forcément optimiste au début… Puis j’ai vu la France réaliser son plus beau match, peut être avec le France-Brésil au Mexique, en 1986. C’est souvent des France-Brésil pour moi !
Thibaud Vézirian. Rédacteur en chef.
Journaliste, présentateur, chroniqueur et producteur… Vous pouvez me retrouver sur La Chaine L’Équipe, CNews et sur ma chaine YouTube T.V. Sport.