Le marché des transferts record que nous venons de vivre cet été est encore dans toutes les têtes. Arrivées de Neymar et MBappé à Paris, recrutement à tout-va d’un Milan AC à l’accent chinois, investissements massifs de Manchester City sur le Rocher monégasque… Impensables il y a encore 5 ans, les sommes les plus folles sont devenues monnaie courante pour l’élite du football mondial. Mais faut-il pour autant reléguer les acheteurs compulsifs au rang de fous à lier bons pour la camisole ? Pas si sûr…
1 – Le marché des transferts, pas si foot que ça
Le marché des transferts explose. Le constat est là, indéniable. D’1,4 milliards d’euros en 2010, le volume global des transferts est passé à 3,7 milliards d’euros en 2017. Pourquoi un tel emballement ? Que peut justifier une telle envolée du prix des joueurs ? Loin des fantasmes et des gros titres, il s’agit de comprendre l’économie qui se cache derrière les chiffres.
Premier facteur déterminant : l’explosion des droits TV de la Premier League. Sur la période 2016-2019, les droits TV anglais ont augmenté de 77% par rapport à la période 2012-2015. Ils s’élèvent désormais à environ 2,3 milliards d’euros par an. La redistribution de cette somme aux clubs de l’élite anglaise chamboule forcément l’ensemble du marché des transferts. Un appel d’air à la dépense colossal, mais parfaitement logique quand on sait par exemple que chaque année, le vainqueur du championnat anglais touche presque 180 millions d’euros grâce à la diffusion télévisuelle des matchs. En clair, chaque année, le champion anglais se voit offrir une somme supérieure à la valeur marchande de l’Olympique Lyonnais au 01 août 2017. Comment dès lors ne pas comprendre que des joueurs, loin d’être des top players, partent outre-Manche pour des clubs de milieu de tableau à des prix exorbitants ? La réalité économique a changé. Le logiciel est neuf, il faut l’intégrer et le comprendre.
Autre élément de ce contexte favorable à l’explosion du marché des transferts, l’arrivée d’investisseurs d’une puissance financière inégalée. Qu’ils viennent des monarchies pétrolières du Golfe, de Chine ou d’Indonésie, ces nouveaux mécènes du football moderne sont prêts à aligner autant de zéros que nécessaire pour satisfaire leurs ambitions. La question de la raison ne se pose pas, ou plus de la même manière. Peu leur importe de perdre de l’argent dans un club de football. Peu leur importe si le commun des mortels juge les investissements démesurés. Leur objectif est ailleurs. Gagner en influence et conforter une politique de soft power étendue au monde du sport, notamment du ballon rond.
La réalité économique a changé. Le logiciel est neuf, il faut l’intégrer et le comprendre..
2 – Enjeux marketing d’un mercato 2.0
Le marché des transferts du XXIème siècle ne peut se départir d’une énorme dimension marketing. Celle-ci contribue à expliquer l’escalade du prix des joueurs. Lorsqu’il s’agit de superstars mondialement influentes, leur poids sur les réseaux sociaux représente une manne économique énorme. Cette donnée inexistante il y a une décennie fait désormais entièrement partie de l’équation. De quoi justifier les sommes les plus folles, puisqu’un retour sur investissement est quasi-certain. Il suffit de jeter un oeil au compte Instagram de Neymar : plus de 80 millions d’abonnés. Les marques qui autrefois payaient des mille et des cents pour 40 secondes de publicité à la mi-temps d’un match de Coupe du Monde se frottent les mains devant cette cible marketing pré-mâchée par la magie des réseaux sociaux. Au premier rang desquelles Nike, qui a pris une part active dans le transfert de la star brésilienne au PSG.
La rentabilisation par l’intermédiaire de la vente de maillots de joueurs est une autre donnée à prendre en compte. Les jours qui ont suivi l’officialisation du transfert de Neymar à Paris, les boutiques du PSG ont été prises d’assaut. À 100 euros pièces le maillot, on peut légitimement se demander quel autre employé en France a rapporté plusieurs millions d’euros à son entreprise en quelques jours. Neymar, employé du mois ! D’autant plus que le club de la capitale s’inscrit dans une stratégie marketing clairement établie au Brésil, plus gros vivier de supporters du PSG après l’Hexagone depuis les passages de Raï et Ronaldinho dans la capitale. Maillot jaune aux couleurs de l’équipe nationale, joueurs brésiliens emblématique, dont le capitaine de l’équipe nationale, Thiago Silva, ou la superstar Dani Alves… L’enjeu marketing est évident, et semble devoir justifier l’investissement consenti.
3 – Quelles mutations pour le marché des transferts ?
Ce marché des transferts estival marque peut-être le début d’un nouveau modèle économique pour le football. Il est trop tôt pour tirer des conclusions qui en l’état ne seraient autre qu’hâtives, mais il est des éléments difficilement négligeables. C’est la première fois que sur le marché des transferts européen, un club de Ligue 1 attire un Top3 mondial à l’orée de ses meilleures années footbalistiques. Surtout, ce transfert qui a tant fait couler d’encre a mis en lumière la toute-puissance d’un nouvel acteur du football face à un club historique et dominant du football européen, le FC Barcelone.
Il n’est d’ailleurs pas anodin de noter les réactions outrées de la direction sportive du FC Barcelone, mais aussi de la Liga. Ce transfert monumental n’est peut-être pas un aboutissement, mais l’ouverture d’une nouvelle ère, celle des mécènes tout-puissant, d’où qu’ils viennent. Demain, qui sait, fleuriront les RB Leipzig aux quatre coins de l’Europe, et seront capables en quelques semaines du marché des transferts de se bâtir un effectif européen.
Les mastodontes historiques des joutes européennes voient d’un mauvais oeil l’arrivée d’investisseurs d’une puissance jusqu’à présent inégalée sur le marché des transferts. Or ils bénéficient d’une oreille très attentive auprès des instances régulatrices du football. À commencer par l’UEFA, où il se murmure que le fair-play financier pourrait fortement impacter les clubs outrageusement dépensiers lors du mercato. Le PSG, Manchester City ou le Milan AC seront-ils sanctionnés ? Si oui, la sanction sera-t-elle symbolique ou ira-t-elle jusqu’à l’exclusion de certains clubs des Coupes européennes ? Le Brexit et la fermeture anticipée du marché des transferts anglais vont-ils transformer le mercato européen ? Difficile de se prononcer pour l’instant, alors que l’ombre de la Coupe du monde au Qatar se profile en 2022. Une chose est certaine, d’ici là, le marché des transferts n’a pas fini de nous surprendre.