La FIFA a décidé de dérèglementer à sa façon le métier d’agent sportif. Il y a deux ans, l’instance a supprimé l’obligation de détention d’une licence pour exercer le métier d’agent de joueurs sous couvert d’un statut dit d’intermédiaire. Une situation qui a, bien entendu, apporté son lot de bouleversements, à l’étranger tout du moins. Car comme nous allons l’évoquer avec Maître Loic Alvarez, la France a de son coté refusé de céder, maintenant l’obligation de licence pour exercer en qualité d’agent.
Avocat inscrit au Barreau de Paris et inscrit sur la liste des avocats mandataires sportifs, Loic Alvarez a un long CV. Professeur à l’École des Agents de Joueurs de Football (EAJF), Président de la commission régionale d’appel de la Ligue Méditerranée de Football, ce dernier a par ailleurs intégré le service juridique de l’Olympique Lyonnais par le passé avant de se recentrer sur le droit des affaires et le droit du sport. Avec son confrère Jean-Baptiste Giniès, avocat au barreau de Montpellier, il accompagne et conseille des acteurs du monde sportif tels que des associations sportives, des agents de joueur et des sportifs de haut niveau ou professionnels.
Quel regard porte Maître Loic Alvarez sur le règlement FIFA ? Comment travaille-t-il avec les agents de joueurs ? Comment voit-il l’évolution de la profession d’agent sportif ? Pour agentfootball.fr, Loic Alvarez se confie.
Maître Loic Alavrez, de par votre statut d’avocat et mandataire sportif, quelles relations entretenez-vous avec les agents de joueur ?
« Mes relations avec les agents de joueur dépendent des agents avec lesquels je traite. Malheureusement, certains ont tendance à nous voir comme une “menace”. Alors qu’en réalité, nos activités sont totalement complémentaires. Heureusement, cela n’est pas une majorité, bien au contraire.
Outre les agents que je conseille et avec lesquels les relations sont bonnes et constructives, il m’est arrivé d’assister des joueurs professionnels dans la signature de leur contrat professionnel alors même que ces derniers avaient un agent. Cela s’est à chaque fois très bien passé. Chacun a travaillé en bonne intelligence et dans la limite de ses prérogatives ».
Quel regard portez-vous d’ailleurs sur cette profession d’agent sportif et son évolution au fil du temps ?
« De manière générale, je porte un regard critique pour plusieurs raisons. Il n’est pas question de remettre en cause la compétence des agents de joueur. Comme dans toutes activités, il en existe des bons et des moins bons. Je porte notamment un regard critique car il me semble que cette profession est trop souvent abandonnée à elle-même, ce qui est malheureusement source de dérives. De par mon expérience, je ne peux pas dire que les choses s’améliorent. Certaines pratiques sont encore non sanctionnées car elles ne sont pas réellement contrôlées.
Cela nuit grandement à l’image générale de cette profession. Elle est pourtant nécessaire et compte dans ses rangs de nombreuses personnes de grande qualité. Tout cela est paradoxal. La France est un des seuls pays à avoir conservé l’obligation de détention de la licence d’agent, contrairement à d’autres pays qui eux ont fait le choix d’abandonner ce système au profit d’une simple inscription auprès des fédérations sportives ».
« On se rend compte que l’arrivée du nouveau règlement FIFA sur les intermédiaires n’a eu pour effet de révolutionner l’exercice de la profession d’agent sportif. »
Il y a deux ans, la FIFA a décidé de supprimer l’obligation de licence pour exercer le métier d’agent de joueur, changement que la France a décidé de refuser. Que pensez-vous de cette situation et de cette résistance française face à cette déréglementation ?
« Juste avant que la FIFA ne décide de supprimer la licence, j’en avais discuté avec un agent de joueur que j’estime beaucoup. Il m’avait dit à ce moment-là que si la FIFA décidait cela, la situation serait ingérable avec les intermédiaires non licenciés qui, même avant que la licence ne soit abandonnée, se permettaient de démarcher les joueurs et les clubs. Avec un peu de recul, je pense qu’il avait tort et raison à la fois.
On se rend compte que l’arrivée du nouveau règlement FIFA sur les intermédiaires n’a eu pour effet de révolutionner l’exercice de la profession d’agent sportif. Cependant, elle a eu pour conséquence d’élargir un peu plus le marché et d’intégrer de nouveaux acteurs qui n’hésitent pas à avoir des pratiques agressives pour attirer les joueurs. Au-delà de cela, le maintien de la législation française qui s’impose aux règlements FIFA, soulève une réelle question en matières de libre concurrence et de libre circulation.
Comment expliquer que l’exercice de cette activité soit subordonnée en France à la détention d’une licence alors que cela n’est pas le cas dans nos pays voisins ? Existe-t-il un motif légitime à ce maintien ? Cette “exception française” est-elle proportionnée au but recherché ? A toutes ces questions, nous n’avons pas de réponse concrète. Aucune juridiction nationale ou européenne n’a encore eu à se prononcer… ».
Le métier d’agent de joueur n’a pas forcément bonne réputation auprès de l’opinion publique, comment l’expliquez-vous ?
« Comme évoqué précédemment, cette profession souffre tout d’abord de son manque de considération par les instances et le législateur. Elle souffre aussi selon moi de son manque d’union et de force collective. De nombreux agents sportifs ne souhaitent pas s’impliquer dans la vie politique de leur profession. Enfin, au-delà de certaines dérives inacceptables, je dirais qu’il est toujours plus simple de pointer du doigt ces dérives plutôt que les bons comportements ».
Selon vous, avec tous les changements autour du football, les normes en vigueur, l’émergence des réseaux sociaux, l’impact de la communication sur une carrière, à quoi ressemblera l’agent de joueur de demain ? Le métier est-il voué à se réinventer en partie ?
« Comme pour la quasi-totalité des métiers aujourd’hui, le numérique et internet ont bouleversé les pratiques, y compris chez les avocats et les agents sportifs. L’agent de joueur doit de plus en plus être connecté, plus seulement à son téléphone mais aussi et surtout aux réseaux sociaux. Il doit faire face à un flot d’informations beaucoup plus important qu’il y a quelques années. Il doit par ailleurs apporter une expertise de plus en plus large aux joueurs qu’il accompagne. L’agent doit notamment se constituer un réseau (juridique, communication, image, relation presse…).
Je pense que l’activité est menée à évoluer. Mais elle devrait garder, selon moi, sa fonction première, à savoir faciliter, représenter, accompagner et mettre en relation des parties joueurs et clubs dans la signature d’un contrat de travail de sportif professionnel ».